LA CONSULTATION

- "Docteur, rassurez-moi, quand une idée folle me passe par la tête, vais-je tomber dans la folie?"

- "Pouvez-vous me préciser ce que sont vos idées folles?"

- "Hier, par exemple, j'étais tranquille, ne pensant à rien de particulier et surtout pas à l'actualité politique, économique, sportive, financière, communale, familiale et internationale. Concentré sur le menu de mes repas du midi et du soir, les ingrédients nécessaires au baba au rhum du dessert et à la façon de sauver mes courgettes des limaces, soudainement me vint l'idée folle de faire l'ascension du mont Blanc tant qu'il y a de la glace, moi qui ne supporte pas l'altitude et de redescendre en parapente pour profiter de la vue. Plus tard, j'éprouve le besoin de partir pour le seul plaisir de ne pas revenir. D'autres fois, j'ai envie d'apprendre le piano, l'anglais, la poterie, la soudure au laser, de lire Bouvard et Pécuchet, de faire de la calligraphie, du karaté. Ça n'arrête pas de germer et de me persécuter alors que je sais bien que je n'ai ni le goût, ni l'envie, ni les forces de faire la moindre de ces choses et seulement le désir d'avoir des idées simples, basales, rudimentaires".

- "Je comprends votre problème. Sérieux, il est gérable. C'est votre imagination qui fait des siennes et vous empoisonne. On va y remédier. Le fait que vous en parliez calmement en la critiquant objectivement prouve que vous gardez le contrôle de votre système idéique. Le retour au calme se fera en attaquant la source de ces idées pour la tarir. J'emploie une méthode qui oriente l'imagination dans une impasse où sa production, prise dans la nasse du cul-de-sac ne peut circuler, s'entasse, étouffe et disparaît. Vous allez appliquer la technique décrite sur mon ordonnance toutes les 8 heures, pendant 15 minutes en respectant le protocole. Ma secrétaire vous la remettra quand vous réglerez la consultation. Si vous n'êtes pas satisfait parce que le mal persiste, je m'engage à vous rembourser".

- "Merci, docteur, et au plaisir de ne pas vous revoir."