DUOPOLE

On a une tête et un corps.

C'est l'idée de départ qui est simple. La réalité l'est moins car la tête a une opinion sur le corps qui n'est pas la même pour tous.

Pour certains, le corps est au service de l'esprit qui aurait tous les pouvoirs et le corps n'aurait que le devoir de lui obéir. Il s'occupe des basses-œuvres, travaille, marche, mange etc... et fait ce qu'on lui dit. Le cerveau, siège et producteur de l'esprit est un centre de commandement, de réflexions, de décisions. Le corps n'a le droit qu'à la douleur pour exprimer sa souffrance et ne se repose qu'en tombant malade, sa façon de faire grève. Mais deux écoles se croisent, sans se reconnaître puisque tout les oppose sauf le mépris de leur corps. Les uns le considèrent comme un inconvénient qui vient les distraire de leur cogitations transcendantales et les importune par des exigences triviales: boire, manger, dormir etc... Ils cultivent l'ascétisme, la sobriété, le jeune. Les autres ont un mépris de leur corps qu'ils expriment en le traitant comme un outil servile au service de leur bon plaisir. Leur  raison de vivre est de jouir. La jouissance qui est sensée faire le bonheur par la satisfaction des sens, les conduira à se gaver pour assouvir un appétit dévorant, à boire pour combler leur besoin de boire, à fumer pour se récompenser de quelque chose. Le corps peut être aussi le moyen d'assouvir une passion, une obsession, un goût pour le risque, le danger, le frôlement de la mort. Ceux-là font escalader leur corps sur une face nord gelée, plonger en apnée, se lancer dans le vide depuis un sommet.

D'autres ont du corps une vision beaucoup plus fraternelle. Leur esprit s'en est épris et il devient l'objet de leur passion. Tous les efforts de l'esprit vont tendre à le rendre plus beau, plus fort, plus désirable. Ils sacrifient tout à ce culte. Le régime est draconien, le temps se passe et l'argent se dépense dans les salles de culture physique, dans les salons de beauté, sur les tables de chirurgie esthétique.

Pour les communs, le corps et la tête vivent en harmonie et ne font qu'un. L'esprit s'inquiète assez du corps pour ne pas le surmener, le reposer, le bien nourrir, ne pas lui faire courir des risques dangereux. Ceux-là savent qu'ils ne sont pas de purs esprits et que la chair est faible. Elle ne supporte pas les excès de graisse, de sucre, de sel, d'alcool. Elle se cancérise dans la fumée des cigarettes. Ils ont compris qu'il faut laisser les tablettes au chocolat, les hyper-muscles aux toros bravos, que la chirurgie peut tuer ou défigurer et que le danger doit être laissé aux dangereux.