Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


mercredi 30 janvier 2013

LE RÉGIME DE MATHUSALEM


Plus que la pierre philosophale et la panacée universelle l’élixir de la vie obsède. Pourquoi ? On sait bien qu’il faudrait vivre un conte de fées pour trouver les deux premières tandis que nous vivons une réalité qui se termine vite, sauf pour Mathusalem qui, pendant 969 ans, en a profité en s’amusant beaucoup. Son exemple le prouve : survivre est possible avec l’élixir de l’ancêtre biblique. Pas l’original, car la tombe et son secret enterré avec lui ont été lessivés deux générations plus tard par un fort déluge dont Noé et sa famille furent les seuls rescapés, comme vous le savez. Vous êtes assis ? J’ai découvert un générique de la potion magique. Prescrire est en attente, Sanofi aux aguets, la Sécu aux abois.

Comment avez-vous fait ? Me pressez-vous. J’ai trouvé simplement que la plaisanterie avait assez duré. Depuis au moins 2000 ans, ils ont tout essayé. Rien ne marche.

La dernière méthode à la mode m’a décidé. Vous la connaissez peut-être. Je l’ai apprise de Monique Atlan et Roger Pol-Droit (Humain – Flammarion 2012, page 97). Un américain (les Ricains, toujours prêts à faire la guerre, sont à l’avant-garde) qui se dit trans-humain bouffe 200 pilules par jour pour reprogrammer son ADN et retarder le vieillissement. Son malheur est qu’à 60 ans il en paraît 60 et qu’il est le seul à ne pas s’en apercevoir. Il fallait en finir. Je me suis mis à réfléchir (c’est avec la sieste, les visites aux pâtissiers et le planter des choux ma principale occupation). Ce ne fut pas long : d’un peu de réflexion, d’observation et de déduction est venue la solution.

La vie est une flamme née d’une étincelle et qui va perdre, au fil du temps, sa force, son éclat. Elle finit par mourir quoi qu'on fasse et c’est en regardant les bûches flambées dans mon poêle que la lumière fût ! La qualité du bois conditionne la durée de son feu. Du chêne sec, dur, lourd, au grain serré, à l’aubier étroit brûle longtemps, dégage de la chaleur, laisse peu de cendres, à la différence du peuplier, du bouleau, des bois tendres, légers qui ne pensent qu’à pourrir sitôt coupés, se consument vite, chauffent peu.

Notre erreur mortelle est là, dans l’alimentation. C’est elle qui nous condamne. Nous mangeons des aliments périssables. Comment devenir immortels puisque nous sommes faits de ce qu’ils sont. Le secret est dans le contraire. Il faut se nourrir de ce qui ne fait pas que passer, comme nous. Elle est pleine d’autres spécimens, des végétaux qui, une fois installés, voient défiler les siècles. Chez eux, nous ferons notre marché.

Pour l’essentiel un potager est suffisant. N’y pousseront que les légumes perpétuels. Peu sophistiqués, presque sauvages, ils ont la particularité de vivre des années.

Nombreux, j’en énumère quelques uns : l’oignon rocambole (Allium cepa var proliferum), le poireau perpétuel à gousses (Allium porum), le chou perpétuel ‘Daubenton’ (Brassicae oleracea convar. acephala), le chou marin (Crambe maritima), le chénopode Bon Henri (Chenopodium bonus-henricus), l’oseille épinard (Rumex patienta), le melon-poire ou pepino (Solanum muricatum).

Vous en trouverez la liste et la manière de les cultiver sur Internet.  

Il y a aussi les plantes vivaces. Certaines sont bonnes à déguster. Elles vous donneront la vivacité qu’il convient pour profiter de toutes les années que vous allez gagner.

Si votre amour de la vie est infini, si jamais l’ennui vous effleure, si vous vous sentez prêt à affronter les siècles des siècles, dégustez en potion, en tisane, en gelée, en apéritif, en digestif, les immortelles. Elles embellissent le jardin, séchées, elles resplendissent dans les vases. Je vous recommande une immortelle de Corse : l’Helichrysum italicum. La Princesse Nausicaa lui devrait sa beauté et Ulysse son énergie. Son huile essentielle, un anti-âge est l’ennemi redouté du temps. Elles m’en voudront, ces discrètes, d’avoir dit ce qu’elles cachaient.

-    « Mais je ne suis pas végétarien. Il me faut du solide pour tenir le coup du matin au soir. Ce ne sont pas quelques feuilles de vivaces, quelques pousses de perpétuelles et des pétales d’immortelles qui me donneront la force de coltiner mes 80 kg et de porter, en plus, mes bagages. Je ne passe pas mon temps dans un fauteuil ».

-    « Sachez monsieur que mon cerveau consomme plus que vos deux mains calleuses. Du calme, je n’ai pas fini votre menu.

Pour vous rien ne vaut le bifteck bien saignant, l’andouillette, le pot au feu, le poulet, enfin une viande rôtie, braisée, grillée, fumée pour éviter quelle ne se faisande, la façon aristocratique de dire pourrir pour ne pas vomir. Elle vous fait saliver tant qu’elle n’est pas asticotée. Je vous l’apporte dans un plat de lentilles ».

La lentille, quelle belle graine. Elle contient tout ce dont vous avez besoin. Si elle ne vous suffit pas vous trouverez d’autres protéines végétales dans le soja, les pois chiches. Mais la lentille a fait ses preuves. Elle vient du fond des âges. Torréfiée, moulue, en farine, elle fera du pain, des gâteaux, des biscuits, des crêpes. Elle calmera votre faim, vous fera plaisir, des muscles. Elle vous évitera de tuer les veaux, de massacrer les poulets, d’équarrir les chevaux, de fusiller les lièvres, les lapins, les faisans, de vous couvrir de sang, de honte.

Pour se conserver, pas besoin de conservateurs. Ils sont dans ce que vous mangerez mais vous pouvez rajouter du sel, du sucre, du jus de citron, du verjus, de l’alcool. Pour le vinaigre, j’essaie d’en faire avec un vieux Loupiac, gras, épais, très écœurant, il colle à la bouche. Il a le parfum et le goût du suc et des sucres des fruits confits. Il se boit à la petite cuillère. S’il arrive à tourner en vinaigre il ne devrait pas avoir besoin d’huile.

J’en ai fini avec le plat de résistance de mon exposé. Pour rester vert très longtemps il ne suffit pas de préférer la chlorophylle à l’hémoglobine.

Des décennies avec de la charcuterie, on y arrive, mais dans quel état ! Ce qu’il vous faut pour être content ce sont des siècles, des millénaires. Vous êtes jaloux des séquoias. Avec un ou deux milliers d’années ils impressionnent mais c’est surtout leur taille qui étonne. Il y en a d’autres, plus vieux, toujours vaillants. L’olivier est de cette trempe, celui de Roquebrune-Cap-Martin a 2 000 ans, porte toujours beau

On le prendra comme modèle. Il résiste à tout. Même à la folie des espagnols qui inondent les jardineries de leurs beaux oliviers. Ils les déracinent, les mettent dans des grands pots, trop petits. Ingrats, ils les exilent après des siècles de loyaux services à faire de l’ombre, des olives, de la bonne huile et de la beauté dans le paysage.

De l’olivier il faut manger les fruits et boire son huile, celle de la première pression, à froid.

Pour nos résumer, avec des légumes perpétuels associés à l’huile d’olive, de la viande végétale, des plats et des salades de plantes perpétuelles parfumées d’immortelles vous aurez du temps à perdre.

Mais, est-ce suffisant ?

Quoiqu’il vous en coûte, je suis obligé de dire NON. Rendre extraordinaire votre ordinaire vous demandera des sacrifices mais, que ne feriez-vous pas pour rire bien et le dernier ?

Deux additifs sont nécessaires :

1/ L’or en paillettes ou en pépites. Inaltérable, imputrescible, inoxydable il est aimé depuis toujours. Ce n’est pas chez le bijoutier ou le monnayeur que vous trouverez celui qu’il vous faut. Fondu, frappé il a perdu ses qualités nutritives. Il doit être natif et c’est l’orpailleur qui vous le vendra. Ce petit métier a failli disparaître mais, avec la remontée de son cours ils recommencent à bâter dans les torrents. Il y en a certainement un, pas loin de chez vous, car nous vivons dans un pays en or.

Il a aussi l’avantage d’être réutilisable ad vitam aeternam après tamisage et nettoyage.

Le deuxième complément, rare, coûteux, est du charbon qui, taillé, biseauté, monté, devient diamant. Ce serait bien si, une fois par semaine, en alternant avec quelques paillettes ou une pépite pas trop grosse vous puissiez en avaler un. Comme il est éternel, il vous cédera ce qui le rend si beau, si solide. Dur à cuire, il raie tout. C’est pourquoi il doit être bien poli, si possible en mille facettes. Le même tamis servira et le cycle recommencera.

L’élixir de longue vie de feu Mathusalem n’avait donc rien de mystérieux, pas de terres rares, de plantes inconnues, de magie noire. Étant fait de ce que l’on mange il avait compris que pour durer plus qu’une éphémère il fallait croquer de l’éternel. Prescrire peut respirer, Sanofi se rhabiller, la Sécu se calmer… Il n’y a que les caisses de retraite à paniquer...

Questions :

1/ Vous croyez aux 969 ans de Mathusalem ?

-      Non, pendant longtemps, mais c’est sûr depuis qu’on a déchiffré dans un papyrus trouvé dans l’arche de Noé sur le Mont Ararat un faire-part de décès qui disait : «---la tristesse-- décès--- grand-père-- dit Mathusalem---- affection -----970 année… »

-      C’est officiel, la famille peut finir son travail de deuil.

2/ Est-ce que ça marche ?

-      Je ne sais pas. Ça vient de sortir. Patience, attendez de me voir dans 100 ans...

3/ Votre vinaigre au Loupiac, on peut y goûter ?

-      Là encore il faut attendre. Il est dans le vinaigrier. Pour le moment faites comme moi, du jus de citron de votre citronnier non traité.

4/ De l’or et du diamant, vous êtes en cheville avec les bijoutiers ?

-      Ah, l’incrédule ! Et vous votez.

-      L’or et le diamant, en allant de la bouche au trou terminal, sont lessivés par les secrétions digestives, caressés par les muqueuses, chatouillés par les villosités. Ils abandonnent au passage un peu de leur énergie, des souvenirs qui arrivent des entrailles de la terre et de la nuit des temps. C’est invisible, indicible, disponible, c’est homéopathique (une dilution CH 16 ou 32, c’est de la dynamite. La loi d’Hahnemann l’a décrété en 1796, Benveniste l’a démontré (1988). Une pointure, estampillée INSERM, souvent imité jamais égalé). Pourquoi s’en priver ?

5/ À quel âge commencer votre régime ?

-      Ça dépend. Vouloir vivre sans arrêt suppose un bel optimisme, un esprit d’entreprise qui saura s’occuper.

-      Ceci acquis, commencez au mieux de votre forme. Laissez passer la crise de l’adolescence, établissez-vous, soyez à l’aise. Vers la quarantaine, capable de sauter, de courir, les pectoraux toujours bombés, les abdominaux sans relâche, le cuir chevelu garni, l’œil perçant, l’ouïe fine, fringant, entreprenant, vous pouvez penser à prolonger votre futur.

Si vous attendez d’être un jeune vieillard pour suivre mes recommandations, vous aurez déjà la cataracte et la surdité qui s’installent, l’arthrose qui fait mal, la prostate qui grossit, etc. Est-ce trop tard ? À vous de savoir s’il vous reste beaucoup à voir.

Mais, si vous vous levez péniblement, avez peur de vous pencher, ne voyez que les grosses lettres, n’entendez que les grosses voix, quand le chocolat est amère, le sucre écœurant, le sel fade… Quand on n’aime que son chien, le temps de ne plus vieillir est passé. Je vous conseille plutôt un sommeil de plomb.

                                                                    ________        

lundi 28 janvier 2013

UN REMÈDE AU CHÔMAGE


On vous l’a dit et redit : l’heure est grave. Demain elle sera pire quand, à la fin de l’année, le président n’ayant pu tenir son pari fou (diminuer le chômage, ne serait-ce que de façon symbolique, un 0,01% aurait suffi) se fera, dans un moment de folie, Seppuku. Le Hollandais géant habitué à gagner ses combats ne supportera pas la défaite honteuse et le même échec que le nain hongrois.

Français, françaises, J’en appelle à votre humanité, à votre générosité : sauvons-le, sauvons sa famille décomposée, sauvons-nous du chaos, de la spirale infernale. Apportons à ceux qui n’en ont pas, les idées qui leur manquent.

Vous, les jeunes d’Agoravox, qui savez à longueur de colonnes et de commentaires nous dire ce qu’il faut faire, ce qu’il aurait fallu faire: donnez des solutions au problème, sauvez le soldat Hollande.

Quant à moi, je montre le chemin, à ma mesure, modestement en conseillant au ministre du chômage une politique au long cours établie sur des principes solides et bâtie de concepts indiscutables. Je lui recommande de ne pas embaucher de nouveaux fonctionnaires qui, trop souvent, s’ennuient – quand ils ne dépriment pas – dans leur bureau, à essayer de comprendre les formulaires d’autres collègues aussi désespérés, mais de prendre l’habitude d’encourager l’initiative personnelle qui favorise l’aide entre soi, développe les relations interpersonnelles, les échanges de bonnes pratiques et évite, bien sûr, le gaspillage des ressources naturelles. Cette politique sortira de l’oisiveté, mère de tous les vices, un nombre pas négligeable de ceux qui le voudront.

Après ce préambule propre à piquer la curiosité du ministre je lui délivrai la liste des petits métiers oubliés ou en voie de disparition dont je souhaite la réhabilitation. Je lui en soumis des nouveaux à promouvoir afin de réveiller en lui (le ministre) l’esprit entrepreneurial dont l’intensité nous avait, vous vous en rappelez, tellement impressionnés, lors de la campagne électorale.

Tous les secteurs de l’activité sont concernés et chacun selon sa formation, ses aspirations, ses aptitudes devrait y trouver à s’employer.

Je commençai par le service à la personne. Il est à la mode mais son développement actuellement arithmétique pourrait devenir exponentiel si on arrêtait de le confiner aux services rendus traditionnels (hôtesse de l’air, d’accueil, gendarme, balayeur, sage-femme, infirmière, manucure, aide-soignante, bonne à tout faire, etc.). D’autres besoins se feront sentir dès lors qu’ils pourront être satisfaits et je pressens une forte demande pour (dans le désordre) :

-      Liseur(se) de contes de fées (si enfant en bas âge). Cela libérerait la mère célibataire, lui permettrait de chercher un mari et donnerait au bambin le goût de la lecture ;

-      Joueur(se) de cartes, de dames, d’échecs, de petits chevaux pour personne seule, à déplacement difficile, habitant un étage élevé sans ascenseur mais ayant gardé un esprit ludique ;

-      Toujours pour personne seule mais aimant la conversation voire la discussion, un beau parleur trouverait l’interlocuteur à sa mesure ;

-      Joueur(se) de double (il est parfois difficile pour un amateur de tennis de trouver un partenaire, surtout en double).

-      Marchand de sable. Vieux métier disparu, remplacé, hélas, par les benzodiazépines. Il servait à endormir les enfants. Son nombre pourrait être décuplé s’il obtenait une AMM étendant son emploi aux personnes âgées, trop souvent insomniaques.

-      Porteur(se) de lettres à domicile. Les retards dans la distribution de courrier dus au dysfonctionnement de plus en plus fréquent des trieuses automatiques devraient permettre à ce métier de raccourcir le délai  entre l’écriture de la lettre et sa lecture. Ce service, du moins en ville, s’effectuer à pied ou en vélo, donc sans émission de CO2. Le coût du transfert mériterait d’être déductible.

Je vais abréger mes commentaires car les vôtres suffiront :

Métiers manuels :

-      recouseur de boutons ;

-      gonfleur de pneus ;

-      masseur à domicile ;

-      arroseur de fleurs ;

-      raviveur de papiers déteints ;

-      épuceur de chien ;

-      épuceur de chat ;

-      laveur de plantes (il aurait pour mission d’éradiquer manuellement les pucerons, les cochenilles, les fourmis rouges, les tâches noires etc. des plantes d’appartement en lieu et place des pesticides et autres cochonneries) ;

-      réparateur de presque tout (changer une ampoule, un fusible, un joint, une prise de courant, de TV, de téléphone, remettre une pile, resserrer un boulon, etc.) ;

-      cureur de dents, gratteur de dos ;

-      pousseur de voiture. La fonction de pousseur est connue dans le métro (celui de Tokyo où il comprime les passagers pour en emmagasiner le plus possible, à distinguer de celui de Paris, dangereux serial killer, psychopathe à ne pas approcher de trop près). Le pousseur de voiture est un pousseur de ville. Réservé à des athlètes vieillissants ayant perdu leur permis de courir en compétition mais dotés encore d’un bon souffle et de jarrets d’acier, il se placerait à l’arrière de la voiture, laissée au point mort et exercerait une pression d’arrière en avant en lieu et place du moteur. Pour la marche arrière il se situera devant le capot pour exercer son effort. Plus de pollution, la mauvaise haleine des rues serait guérie, plus besoin de tramway. La vitesse serait réduite, la voiture marchant au pas, finis les accidents de circulation. Malgré votre enthousiasme ce petit métier aura du mal à prospérer car les corporatismes, plaie de notre société bloquée, se mettront en branle : pompistes, pétroliers, pneumologues, brancardiers, ambulanciers, orthopédistes, PVistes, etc. Le Sud-ouest serait particulièrement propice à cette propulsion musculaire. Elle pourrait être étendue aux poids-lourds, même en surcharge, par la mobilisation des première, deuxième et troisième lignes des équipes de rugby au chômage technique durant l’intersaison. Ce serait un entraînement bienvenu pour les mêlées futures et leur éviterait de perdre du temps à ne rien faire de bon.

En vrac et pour faire court car je sens que vous fatiguez : éplucheurs de patates, faiseurs de confiture, repasseurs au fer chaud, tricoteuse de chaussettes, avec son acolyte la repriseuse de trous. Des bavards bien renseignés remplaceront les panneaux indicateurs (Decaux sera pas content). Des préposés aux croisements remplaceront les feux rouges.

Je terminerai cette énumération – non exhaustive car je réserve la liste complète au ministre - par des petits métiers qui méritent de redevenir ce qu’ils ont été pendant si longtemps et que nos farceurs écologiques ignorent, aveuglés par leur cécité naturelle. Je ne parle pas de l’aboyeur municipal, du tambour de ville, du rémouleur, du laveur de vitres, du bedeau, du chanteur de rue, du vendeur de cartes (légères) à la sauvette, du cireur de bottes. On en trouve encore ici et là. Nous ne citerons pas non plus les ramasseurs de balles perdues et les chicoteurs de poubelles, hélas, toujours en activité de nos tristes jours. Je finis cette liste qui tourne à la litanie bien que je haïsse les vœux pieux par deux métiers du passé auxquels je prédis un grand avenir : le ramasseur de crottin et le marchand de peaux de lapin.

Le ramasseur de crottin.


Il travaille aujourd’hui dans les haras et les clubs hippiques mais, jusqu’à l’après-guerre, quand l’essence était rare, que des charrettes remplaçaient les camions réquisitionnés, que les corbillards n’étaient pas motorisés, des chevaux circulaient dans les rues et crottaient. Armé d’une pelle et un balai, il ramassait les tas fumants et les enfournait dans une petite remorque.

À Paris il a sa place dans les alentours des quartiers de la garde républicaine. Il devrait en suivre les parades et ne pas laisser aux motos-crottes le soin d’enlever cet or en crottin. On sait que les fèces de ces demi-sang (français) élevés au foin de la Crau, aux bons picotins d’avoine et à la paille craquante donnent un engrais organique d’une qualité supérieure digne d’une AOC et, comme disait Saint Nicolas, le crottin de cheval est à la plate-bande ce que le crottin de Chavignol est à votre assiette.

Le marchand de peaux de lapin.


C’était une figure très populaire dans les villes et aussi dans les campagnes. Il s’annonçait par une mélopée sauvage à deux tons avec un tonitruant « Peau de lapin, peau des guenilles, peau ! ». Il achetait la peau des pauvres jeannots qui avaient fini leur vie en civet ou en pâté. Séchée, tendue, elle finissait en belle pelisse ou en feutre dans les melons. Ils n’étaient pas morts pour rien. En complément, la consommation du lapin autochtone devrait être relancée comme sa production familiale. Nourrissant, pauvre en cholestérol, végétalien lui-même - les végétariens l'acceptent à la moutarde – le lapin domestique permettra, grâce à sa peau, de bien faire vivre quelques marchands ambulants, façon pour eux de retrouver leur joie de marcher en chantant et de ressusciter une industrie de la fourrure et du chapeau.

Tous ces métiers qui attendent en coulisse qu’on veuille bien s’occuper d’eux, pourraient nous faire retrouver l’âge d’or du plein emploi, quand le chômage n’existait pas, ou était résorbé naturellement par toutes les institutions qui accueillaient à bras ouverts ceux qui ne voulaient pas se fatiguer à trop en faire : les séminaires, les monastères, les régiments, les guerres coloniales (mais là il y a peut-être un débouché qui revient).

Votre contribution au renouveau du travail et à la baisse du chômage sera la bienvenue. Veuillez adresser vos propositions au ministère des idées nouvelles, la poste – ou un porteur-  fera suivre.  

 

samedi 26 janvier 2013

TOUJOURS, JAMAIS


Toujours et jamais sont deux adverbes situés aux deux extrémités de l’infini du temps.

Tous les deux s’excluent du présent. L’un regarde le futur. Jamais se ferme sur le passé.

Jamais de la vie est une affirmation négative qui témoigne d’une détermination  à ne pas se laisser faire. Elle en dit long, même plus que le toujours plus qui, lui, montre un optimiste jamais assez content de ce qu’il a pour ne pas en réclamer davantage.

Vous comprenez que jamais et toujours ne s’opposent pas seulement dans les éternités mais aussi chez les gens. Il y a les toujours qui disent oui comme il y a les jamais qui disent non. Les optimistes, les pessimistes, les bienheureux, les malheureux. Cette division en deux n’est pas l’effet du hasard mais une répartition des tâches nécessaire à l’équilibre des forces et à la stabilité du moment. On en revient toujours à la thermodynamique et à la relativité, les seules lois qui gouvernent le monde.

mardi 22 janvier 2013

LONG MÉTRAGE


Mon bref métrage (1’7’’), mon court métrage (3’35’’) n’avaient pas fini leur tournage que mon producteur, un pressé d’en finir pour arriver à Cannes, me suppliait d’embrayer sur la longueur supérieure. Il vise les Oscars. Il tombait bien. Je venais d’en finaliser un.

Même si je peine à ne pas me vanter, j’ai du mal à ne pas sursauter d’orgueil – ma lombalgie chronique m’interdit tout mouvement brutal – quand je relis le scénario. J’y ai mis beaucoup de moi-même. Cela se voit dans la finesse de l’analyse psychologique, le courage d’aborder plusieurs thèmes proscrits, la volonté de ne pas se laisser rebuter par les difficultés, une capacité d’imaginer des situations impossibles comme de faire rire un atrabilaire, prier un athée, abjurer un jésuite. C’est une synthèse de tout ce que j’aime et l’antithèse de tout ce que je déteste.

Pitch


Dans une ambiance à la « Sin City », mon héros, un mélange d’Inspecteur Harris, de Machete, du Bebel de « Peur sur la ville », un zeste de l’Espion qui venait du froid et le mystère du 3ème homme, démêlera un écheveau de conflits étiré sur 3 générations, 3 guerres, 3 religions, des allers-retours dans le passé, le présent et un futur à court-terme.

Synopsis


Un immigré de la 3ème génération vit heureux dans une banlieue pourrie. Il gagne bien sa vie avec les allocations familiales de ses 19 enfants, sa rente d’accident de travail, son invalidité catégorie 3 avec tierce personne, l’allocation logement et, grâce à un prête-nom, les Assedic.

Père polygame de 3 familles nombreuses, il régnait, avec la sagesse du marabout qu’avait été un de ses aïeux du temps de Savorgnan de Brazza sur son harem et sa progéniture. Cette vie de bonheur, de poésie et de fornication s’arrête au premier plan du film, donc au premier jour de tournage quand, la chance tournant, il apprend, dans la même séquence que le fruit de son travail de jour et de nuit ne suffit plus à payer les factures. En surendettement il allait devoir maigrir, répudier, prendre le bus, vendre son cabriolet et sa spéciale familiale, fréquenter l’AAAC (Association des Acheteur Anonymes Compulsifs) et que :

-      Son 3ème fils unique, converti, venait d’entrer dans l’Ordre de Malte, que l’un de ses cadets était parti en croisade au Mali et le surdoué de la famille ne se décidait pas à choisir entre Polytechnique, Normale Sup et l’école pâtissière de Lenôtre ;

-      sa chimiothérapie ambulatoire pour son cancer métastasé donnait des signes d’échappement ;

-      il allait entamer une crise identitaire car sa carte d’identité volée n’était toujours pas retrouvée.

Le héros sans peur - mais avec quelques reproches pour rester humain et ne pas ressembler à Batman – finit, après de multiples péripéties haletantes où il prend tous les risques en donnant beaucoup de sa personne par résoudre, alors qu’on croyait le challenge impossible, les problèmes de tous, à la satisfaction et stupéfaction générale :

-      le père retrouve sa carte d’identité in extremis alors que le charter qui allait le rapatrier en Casamance fermait la soute sur ses bagages ;

-      La mère, qu’il venait de répudier, après 10 ans de mariage forcé et 5 enfants en bas âge, pouvait enfin, à 25 ans, épouser l’homme qu’elle aimait en secret depuis toujours ;

-      Le fils aîné, devenu Grand Maître de l’ordre de Malte revenait dans sa banlieue pourrie, à la tête de ses chevaliers. Il en chassait les voleurs, les violeurs, les trafiquants, les drogués ;

-      Le croisé du Mali intercepté à la frontière par les forces du bien était remis dans le droit chemin et reprenait celui de la patrie ;

-      Le père sauvé de l’exil, sa naissance loco dolenti prouvée, achève une vie bien remplie entouré de sa gorouée, au pied de l’HLM qu’il squatte depuis toujours. Le maire, ému, lui remet la médaille de père de familles nombreuses. France 2, saisie par la lettre anonyme d’une amie de l’assistance sociale qui a aidé tout au long de l’histoire notre héros lance un téléthon national pour lui permettre de rembourser toutes ses ardoises. L’Assistance Publique alertée de sa fin prochaine envoie son équipe des derniers secours pour pratiquer en urgence une exsanguino-transfusion et un remplacement standard de tous les organes cancéreux avec, en prime, pour la convalescence, les œuvres complètes de son auteur préféré.

-      Un dernier travelling au son  d’une marseillaise râpée montre le père embrassant ses deux femmes, le fils aîné savourant sa victoire, le fils cadet revenu de croisade, le surdoué montant sa première chantilly et notre héros kissant l’assistance sociale qui venait juste d’apprendre qu’elle n’était pas l’orpheline qu’elle croyait être mais l’enfant naturelle aimée et métisse de ce père qui, depuis toujours, était à la recherche de son unique erreur de jeunesse.

SCÉNARIO


Il restera au secret jusqu’à nouvel ordre.

POURQUOI


Je fais une exception car je veux garder la maîtrise de ce film qui restera exceptionnel et ne le mettrai pas en ligne. Il risque d’être piraté par un hacker (Lisbeth Salander chercherait à se renflouer). Les dialogues sont si truculents (un mélange de Jeanson, d’Aurenche, d’Audiard, de Bouvard et Pécuchet), l’intrigue, si bien menée, la fin si imprévue avec un retournement de situation tellement étonnant que je crains d‘être détroussé, spolié, volé. C’est une pratique courante dans le milieu. J’en ai trop souffert pour me le permettre aujourd’hui. Je ne vous dirai pas tous les Césars, tous les Oscars dont je devrais être crédité.

Même la musique sera cachée jusqu’à la première séance. C’est du rap de première génération. Il comblera tous les silences. Il met les points sur les i, balance à fond la glotte, lève le secret-défense sur tous les interdits de penser, de cracher, de fumer, d’allumer. Ce sera, comme le reste, une bombe.

J’ai sorti de sa maison de retraite Gisèle, ma première secrétaire et du grenier et de son cocon ma Japy. Accrochés, elle à son sonotone, moi à ma loupe à voir de près, nous avons court-circuité tous les voyeurs, tous des voleurs. Sitôt tapé, le manuscrit est parti par ambulance dans un coffre à l’USB de Francfort, en attendant mieux.

Je suis sûr de l’avance sur recettes, on a un drame social, familial. La dénonciation des politiques y est vigoureuse. Le problème des jeunes, du chômage, le poids de la religion, de la tradition, en fait de toutes les drogues y sont traités comme il se doit. La prise en charge par la Sécurité Sociale est montrée avec justesse, sans parti-pris.

Dans ce film choral, où rien ni personne n’est oublié, l’équilibre est parfait avec une originalité dont, hélas, le cinéma français n’est plus coutumier. Ah ! Renoir, Carné, Clouzot, Girault, votre héritage est lourd, J’en serai digne.

J’ai approché, pour le réaliser, un futur espoir, un stagiaire en prépa pour entrer à HEC (École des Hautes études cinématographiques). Il est intéressé et prêt à décaler un tournage pour Dreamworks. Il m’a cependant fait remarquer – c’est un anxieux – qu’à la Commission ils vont peut-être tiquer – voire me retoquer. Il n’est pas écolo-compatible. On ne parle pas de la fonte des icebergs, du drame des esquimaux glacés, des OGM, de l’airport d’Ayrault, il a raison, le bougre. Il connaît son monde. Il ira loin. Je lui au promis d’ajouter une séquence choc sur un coléoptère troglodyte menacé par le tunnel Lyon-Turin sous les Alpes.   

L’avenir du cinéma étant dans les séries a dit un prophète, mon film devrait plaire aux esclaves de la télé. Ils y trouveront l’actualité du journal télévisé, la rapidité de 24 heures chrono, le romantisme de « Plus belle la vie », l’efficacité de « Bones », l’humanité de « Dexter », la fraternité de « Friends », l’élégance de « Downton Abbey », le suspens de « Homeland ». Il aura donc le succès de « Dallas ».

Pour mieux le situer, mon film aura une chute renversante, à la « Usual Suspects », des effets spéciaux comme « Inception », une humanité digne d’ « Une Nuit en Enfer » mais le public y retrouvera, les « Gaîtés de l’Escadron », l’optimisme de « Lady for a Day », l’émotion de « Jeux Interdits », l’ambiguïté de « Doctor Jerry & Mr Love ».

Après l’avoir vu vous vous sentirez fort comme Tarzan, souple comme JVD, intelligent comme Attali, beau comme un dieu, héroïque comme Ben-Hur. Pour vous c’est facile, c’est naturel, vous êtes tout ça mais, pour certains j’ai galéré pour presque y arriver.

samedi 19 janvier 2013

PAUVRES, RICHES


Le pauvre n’a pas trouvé le chemin de la richesse. C’est évident, sauf pour lui. Manque de pot, faute de chance, de guide. Souvent il s’appauvrit d’autant plus qu’il s’endette. Il l’est devenu après avoir cherché fortune dans des filons épuisés, confié ses économies à un banquier en fuite, été compris dans une compression de personnel. Privé de maison, de revenu, il erre dans les rues, se terre dans les encoignures, cherche de l’argent où il n’y en a pas : les fonds de bouteille, les fonds de poubelle, les ronds de fumée. À force de serrer les dents, la ceinture, il deviendrait presque méchant, s’il en avait la force. Mais la société n’a rien à craindre. Elle est bien faite. Le pauvre fait le vide. Il est facile à éviter, on le sent avant de le voir. On traverse la rue, on change de trottoir. Il fait peur, non qu’il soit agressif mais par ce qu’il est et qu’on pourrait être, un jour, si le vent tournait, si la crise durait, s’aggravait, la structure s’effondrait, si j’étais expurgé. On frissonne, on s’affole, on se met à courir… Salaud de pauvre !

Le riche est à plaindre, lui aussi. Jugez-en. L’être c’est s’obliger à le rester pour continuer d’en profiter. Ce n’est pas facile au milieu de tous les pauvres qui aimeraient prendre sa place. Son combat épuisant est permanent après avoir été perpétuel. Car sa fortune vient souvent de loin et ses pauvres ancêtres avant de l’être l’avaient été. Pour arriver à s’en extraire, que de fatigues, que d’efforts, de sacrifices. Il a fallu se faire courtisan et avaler toutes les couleuvres, faire dans la traite, travailler les enfants dans les mines, les esclaves dans la canne à sucre. Ils ont dû profiter des guerres, vendre de la poudre, des canons, des baïonnettes, se faire prêteurs à gages, usuriers, prévaricateurs, voleurs. Fortune faite, il restait à assurer, s’installer, faire oublier les origines, s’immatriculer dans les beaux quartiers, acheter des châteaux, fréquenter les belles âmes, les grandes dames et d’autres héritiers, tous aussi pollués.

Les nouveaux riches n’ont pas cette mémoire à trimballer. Ils débutent dans la carrière ou, au pire, sont des fils ou filles à papa, à maman.

Les débuts ont été laborieux, comme toujours. Le jour de chance est arrivé. La bonne enchère, le bon moment, le bon produit. Bien préparés ils ont sauté sur l’occasion. La course a commencé, la boule de neige qui grossit, grossit, absorbe tout ce qu’elle touche, écrase les autres, remplit les coffres, fait sauter les banques, achète les hommes, les journaux, les radios, les télévisions, fait les députés, le gouvernement… Dans sa bulle, le nouveau riche spécule, accumule. Il lutte pour en avoir plus, se garder des contrecoups, préparer l’avenir. Ce n’est pas de la tarte la vie d’un riche, toujours dans les magouilles, les trafics d’influence, les faillites frauduleuses, les krachs boursiers, les OPA hostiles, les conflits d’intérêts, d’héritiers. Dans son yacht à étages il doit éviter les écueils, dans son strato-cruiser il est secoué par les trous d’air, les vents contraires. À terre, ce n’est pas mieux : caressé par des hétaïres, courtisé par des avides, servi par des valets, tout ce beau monde prêt à le trahir pour un plus riche.

On peut parier que le pauvre, au ciel, aura plus pitié du riche en enfer que lui n’en avait sur terre pour qui vivait l’enfer…

mercredi 16 janvier 2013

LE MALI EXISTE-T-IL ?


Amour sacré de la patrie… Est-ce que les maliens pourraient chanter ce couplet et aller verser leur sang pour se défendre des phalanges mercenaires, des cohortes étrangères qui veulent devenir les maîtres de leur destinée ?

Quel malien composera une Bamakaise et lancera à ses concitoyens sur l’air qu’il voudra un appel du genre « Aux armes citoyens ! » ?

Combien de maliens à l’étranger se précipitent dans leurs ambassades et demandent à s’engager pour sauver la patrie en danger ?

Le Mali existe-t-il ? Les maliens se sentent-ils fils et filles d’un pays qui serait le leur ?

Faut-il vraiment que ce soit des français qui aillent s’y faire tuer pour que le Mali existe ?

lundi 14 janvier 2013

Court métrage


Pitch


Confrontation de deux idéologies au bas d’un escalier, genre conversation du café du commerce.

Décors. Personnages. Durée


Un escalier à double volute. Deux hommes (Pierre et Paul), la quarantaine BC-BG descendent, chacun de son côté, pressés, occupés à lire un journal. Ils se télescopent sur le perron. Confus ils s’excusent et pour se faire pardonner engagent la conversation. Durée : 4′30".

Dialogue


PIERRE.   Pas fameuses les nouvelles : la crise, le chômage. Ça ne s’arrange pas. Les riches qui foutent le camp, tous les autres avec leur smala qui les remplacent. Bonjour les dégâts…

PAUL.   Vous paniquez. C’est pour ça que vous êtes pressé. Êtes-vous sûr que ceux qui arrivent ne vaudront pas, un jour, ceux qui partent ?

PIERRE.   Ça ne vous fait rien de penser que les rats bien gras qui quittent le navire avec les autres, des plus jeunes, malins, actifs, pleins d’idées, de projets vont être remplacés par des rats faméliques, incultes, haineux qui se sauvent de pays pourris par la maladie, la corruption, la guerre, la famine, la haine ? Une greffe ne peut prendre que s’il y a compatibilité entre le donneur et le receveur. Il faut qu’elle soit acceptée, désirée, demandée. Vous avez beaucoup de points communs avec ces miséreux ? 

PAUL.   Vous regrettez les déserteurs. Vous crachez sur la légion des étrangers qui se pressent aux frontières. Vous ne comprenez pas qu’ils viennent combattre à nos côtés, nous rajeunir, nous fortifier. On perdra un peu de notre pâleur, on gagnera un peu de leur noirceur. C’est ça qui vous fait peur ?

PIERRE.   La couleur de ma peau, je m’en fous. J’aime bien être bronzé l’été. Plus longtemps, pas de problème. Ce que je crains c’est la fission, pas la fusion, que le mélange soit impossible, comme l’eau dans l’huile, c’est pas miscible. Vous agitez, vous insistez, chacun repart de son côté, dans sa bulle, dans sa cellule. Un pays d’étrangers est divisé, fragmenté et n’a rien à partager. Démolir en une génération ce qui a mis 2000 ans pour se bâtir, pour vous c’est cool ?

PAUL.   Mais, ma parole, vous allez pleurer, vous déprimez. Le monde change, c’est son habitude. Un peu plus vite, apparemment. Vous connaissez l’histoire de France mieux qui moi. On a été servi en invasions barbares. Depuis le début, depuis toujours. Vous voulez la liste ? Elle est longue. Vous me pardonnerez si j’en oublie : les Ligures, les Ibères, les Phéniciens, les Grecs, les Celtes, les Romains, les Wisigoths, les Ostrogoths, les Saxons, les Teutons, les Vandales, les Burgondes, les Alamans, les Francs, n’oublions pas quelques Huns en maraude, quelques Vikings en carafe. Vous croyez qu’ils s’arrêtaient à la frontière et demandaient poliment « on peut entrer ? On n’a pas de papiers »… Non, ils arrivaient avec armes et bagages, à marche forcée du genre « ôte-toi de là que je m’y mette ». Pas loin d’hier, plus civilement les Russes, les Polonais, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, les Algériens nous ont bien aidés pour tirer le charbon des mines, la potasse d’Alsace, faire tourner les usines, construire les maisons. Vous êtes sûr qu’ils ont été accueillis à bras ouverts, qu’ils ont demandé : on ne vous dérange pas, on ne piétine pas vos plates-bandes ? Ce qui se passe aujourd’hui est-ce différent ? Ils prendront ce qu’on a de bien. On leur prendra ce qu’ils ont de mieux. En réalité, vous avez peur de l’avenir car vous n’avez pas confiance en vous, vous croyez qu’on vous attaque ? Vous devriez être reconnaissant : vous êtes encore désirable. Ils ont besoin de vous, vous devriez être content.

PIERRE.   Vous vous foutez de moi ? Vous trouvez qu’avant c’était pareil à maintenant, que demain on se sentira chez nous chez eux et eux chez eux chez nous. L’unité sans défaut dans la mixité, sans partage. C’est la quadrature du cercle. Revenez sur terre. Tout change depuis toujours, je suis d’accord mais vous ajoutez aussitôt : ce qui s’est passé hier se passera aujourd’hui. Mais non, les mêmes causes ne produisent plus les mêmes effets. Avec la globalisation, la libéralisation, la communication, l’éducation qui fout le camp, les religions qui se diabolisent, les familles qui éclatent, la fuite en avant, la peur des catastrophes à venir, le chômage, la baisse des revenus, la montée des eaux, l’arrivée des pauvres, la fuite des riches, les prisons pleines, les déserts médicaux, la Marine qui pète le feu, l’UMP qui pète les plombs, tout change en mal, le progrès est un trompe-l’œil, la réalité sordide.

PAUL.   Vous me feriez peur si je ne savais pas que vous avez tort. Vous devez avoir du mal à vivre. Vous vous croyez profond, vous êtes superficiel, vous n’écoutez que ceux qui pensent comme vous : Valeurs Actuelles, le Spectacle du Monde, Camus le petit, Minute, les déclinologues, les prophètes de malheur, les prédicateurs de la fin de leur monde. Prenez de la hauteur, l’air est pur, on voit loin, on respire mieux. Abandonnez les tristes sires. Ils vous pourrissent la vie. Leur fonds de commerce en faillite, ils liquident leur stock de vieilles lunes. Personne n’en veut. Ne soyez pas le dernier client. Débarrassez-vous de vos préjugés rancis, ouvrez les yeux à l’étrangeté, à la nouveauté, acceptez d’échanger, comparez, marchandez, faites-vous expliquer. Vous apprendrez à vivre avec les autres. Ils ne vous feront plus peur. Vos différences deviendront relatives, négligeables. Ah, une dernière chose : vous avez de beaux yeux, tu sais ?

Fin

samedi 12 janvier 2013

LE TRAMWAY DE TOURS, UNE CICATRICE VICIEUSE ET COÛTEUSE (400 M d’Euros)


Transformer des avenues, des rues qui ont mis des siècles à devenir ce qu’elles sont (harmonieuses, esthétiques, bonnes à la déambulation et aux chalands) en des voies de chemin de fer, voilà ce qu’ont réussi les édiles angevins et ce dont ont rêvé et à quoi œuvrent leurs épigones tourangeaux.

Vous connaissez peut-être la rue d’Alsace à Angers. Elle part de la place du Ralliement pour rejoindre le Boulevard Foch. C’était la rue la plus commerçante, la plus animée des rues d’Angers. Je l’ai revue, il y a peu : défigurée, « désanimée », froide, désertée, elle est désormais dédiée à un tramway qui la remonte et la descend. Elle est devenue une voie ferroviaire comme beaucoup d’autres. La place du Ralliement, coupée en deux par le même fléau ne se ressemble plus. Commerçants de la rue Nationale à Tours, votre calvaire ne fait que commencer.

Angers est maintenant partagée en deux, comme Tours le sera demain, par une cicatrice vicieuse. Elle la doit à une infection qui contamine ceux qui gouvernent la ville et veulent faire le bonheur des habitants en les transportant collectivement sur des rails, quel qu’en soit le prix, quelles qu’en soient les nuisances. Ils ne comptent pas, l’emprunt sera remboursé dans un lointain indéfini. Ils ne voient pas l’injure qu’ils font au paysage et à l’environnement. Leur obsession : chasser la voiture qui pollue par un train électrique, est une idée fixe et courte. Elle oublie que demain la voiture sera électrique et ne polluera pas, que le tramway tombe en panne, se met en grève, consomme de l’atome et massacre une ville.

L’écologiquement correct est aussi dangereux que le politiquement correct. Ils avalisent tous les deux l’idée reçue, la pensée dominante, la machinerie à la mode. L’idéologie, le sectarisme dictent leur conduite. Elles ne leur permettent pas de réfléchir, de douter, de peser avant de décider en ayant pour obsession la vérité et la réalité.

Pauvres angevins, pauvres tourangeaux, pauvre France !

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mercredi 9 janvier 2013

BREF MÉTRAGE


C’est du lourd, un thriller social qui finit bien ou mal, à vous de voir. 

C’est quoi le pitch ?
L’idée est basée sur une loi de la thermodynamique, je ne sais plus laquelle : l’équilibre des forces qui permet au monde de tourner rond, au froid de compenser le chaud, le plus le moins, le haut le bas. Ce qui se perd ici est gagné ailleurs. Tout va et vient, etc.
Et vous la traduisez comment cette idée ?
J’en fais un dialogue monologué avec deux hommes qui se font face sous un réverbère. L’un, dans l’ombre, parle à l’autre qui est en pleine lumière.
Content de ce qu’il entend, il acquiesce et se renforce dans la bonne opinion qu’il a de lui-même. C’est le corbeau de la fable. Il ne regarde pas celui qui parle.
Celui qui se compare à l’autre en tire, à la fin, la conclusion au propre et au figuré.
Et comme casting ?
On ne voit qu’un personnage, celui qui se tait et se rengorge. Le parleur est indistinct, dans l’ombre du grand homme. Ce n’est qu’une voix. Elle est cassée, brisée, envieuse.
Celui qui brille focalise l’attention car il a tout pour plaire. Il faudrait un comédien capable de nous faire croire qu’il aurait la beauté du Delon du Guépard, la classe de Louis Jourdan de « Lettre d'une inconnue », le charme de Mastroianni, la séduction de G. Clooney, la fortune de Buffet…
Le rôle est muet. Si l’Artist est libre, ça pourrait l’intéresser.
C’est un gros budget ?
Non, le minimum syndical.
Ça peut se faire en un seul travelling avec une steadycam qui tourne autour car c’est, en fait un one man show avec une voix off qui s’adresse à celui qui resplendit. Quelques gros plans pour saisir le contentement de celui que l’autre, l’homme de l’ombre, admire. Durée : 1’ 7".
Venons-en aux dialogues.
C’est un monologue, car il n’y a pas de questions, donc pas de réponses mais des constatations. Il avait déjà commencé et on le prend en cours, vers sa fin :
- Vous êtes beau, je suis laid ;
- Vous êtes propre, je suis sale ;
- Vous sentez bon, je pue ;
- Vous êtes grand, je suis petit ;
- Vous êtes intelligent, je suis bête ;
- Vous êtes riche, je suis pauvre ;
 - Vous êtes célèbre, je suis une ombre ;
- Vous êtes couvert de femmes, je ne connais qu’une veuve ;
- Vous dormez au Plazza, moi dans le métro ;
- Vous roulez en Rolls, je suis un va-nu-pieds ;
- Vous avez tout, je n’ai rien ;
- Mais, dites-moi, si vous mourez jeune, je vivrai vieux…
Une main sort de l’ombre avec un révolver. La lumière s’éteint en même temps qu’un éclair et un bang !

FIN

AVIS À LA POPULATION



Occupés à ouvrir les huîtres, ébouillanter le homard, refroidir le caviar, dégraisser le foie gras, chambrer le Petrus, farcir la dinde, bourrer le chapon peu de français ont entendu l’appel du 31 décembre.
Fatigués, repus, dégoûtés, débarrassés pour un moment de toute fête obligatoire, ils récupèrent leurs capacités de réfléchir, de lire, de comprendre, de s’intéresser à autre chose qu’à la Grande Bouffe, aux vœux pieux, aux réunions de famille « je vous hais », aux accolades officielles, enfin à tout ce qui se fait par principe, par habitude, par routine, faute de mieux et du calendrier.
Le besoin de changer, d’évoluer, de s’adapter étant de plus en plus évident, l’exemple devant venir d’en haut, l’urgence d’une polygreffe présidentielle doit mobiliser les quelques français et françaises en état de marche et d’écouter la rediffusion par le tambour de ville, de l’Avis à la population du 31 décembre paru sur Agoravox, le média citoyen détesté du pouvoir.

Les vœux à la cantonade, dans les embrassades, les incantations papales, les prétentions présidentielles n’y pourront rien. 2013 sera pire que 2012 :
-      Les américains et les africains continueront de s’entretuer ;
-      les syriens de se bombarder ;
-      les irakiens de s’exploser ;
-      les afghans de s’égorger ;
-      les israéliens de déconner ;
-      les chinois d’exporter ;
-      nos chers et vieux pays de s’étioler ;
-      les inondations de noyer;
-      les incendies de brûler;
-      les terrains de glisser ;
-      le déficit se creusera, comme toujours ;
-      les impôts, le gaz, l’électricité, le chômage augmenteront comme jamais.
-      …/…
Notre bateau continuera de dériver. À la barre, un capitaine sans gouvernail s’égosille dans la tempête, le tonnerre, les éclairs. Son équipage de bras-cassés, d’éclopés, de bons à rien, amènent des voiles déchirées, tirent sur des bouts moitié pourris, se battent entre eux, sans bosco, sans quartier-maître, les officiers s’occupent ailleurs à la recherche d’une boussole, d’un compas, d’une carte, d’un cap.
À fond de cale, dans la soute, des forçats, des mercenaires, des hors-la-loi, quelques mutins affamés, s’affairent à s’entre-tuer pour être dans les premiers à remonter, prendre le quart quand les autres auront déserté faute de pouvoir, de vouloir.
Pendant ce sale temps, à terre, la situation n’est pas meilleure, les vœux n’y pouvant rien. C’est la débandade, le sauve qui peut, le chacun pour soi.
-      Les riches, échaudés, essorés, s’enfuient aux frontières ;
-      les pauvres, en carafe, s’appauvrissent faute de mieux ;
-      les pays en voie de développement se développent à vue d’œil ;
-      nos pays en voie de dépérissement dépérissent en même temps ;
-      les affamés, les miséreux, les sans abri, sans habits arrivent pressés, haineux d’être si prolifiques, si démunis, avides de profiter de nos beaux restes ;
-      les bobos, les gogos, homo ou hétéro sont contents d’eux, s’amusent entre eux ;
-      les religieux, toujours patelins, le ton sucré, le geste onctueux, prêchent leur sermon, assis sur 2000 ans de turpitudes, de croisades, de guerres de religion, de conversion. Ils se prosternent devant un Dieu trop occupé à vidanger quelques trous noirs, à éteindre une nova en ébullition ou à piloter une constellation. Ce ne sont pas les hommes qui n’aiment pas Dieu, c’est Dieu qui n’aime pas les hommes. Il a raison. Il n’aurait pas dû les faire à son image.
Que faire pour s’en sortir ? demandez-vous.
Aller ailleurs ? C’est encore pire ou guère mieux.
Faire le ménage, chasser les incapables, les prétentieux, les sectaires, les faussaires, les escrocs, les menteurs ?
Qui le fera : les fainéants, les indifférents, les profiteurs, les ayant-droits, les professeurs, les experts, les spécialistes, les dépressifs, les conservatoires, les bonnes sœurs, les évêques, les gendarmes, les voleurs, les colonels, les généraux des agents EDF, SNCF, RATP, territoriaux, fiscaux ?
Tous cramponnés à leurs avantages, à leur RTT, à leurs retraites dorées ou galvanisées, à leur 15ème mois, à leur CE, à leurs chèques-vacances, repas, transports, à leur mois de mai, leur semaine de 4 jeudis, à ne rien faire ou si peu, à gémir, se lamenter, bouffer, téléphoner pour ne rien dire, le cerveau évidé par ce qu’ils voient, ce qu’ils lisent. Ils ne savent dire, quand tout fout le camp, que « Bonne année, bonne santé ». Mais, demander de la bonté au temps et de ne pas être malade à la santé, relève de la psychiatrie lourde, une preuve de plus que le monde est fou, fou, fou…
Ça suffit, vous nous avez fait assez pleurer, vous n’avez rien à proposer. Vous n’êtes bon qu’à nous enterrer.
Vous voulez un traitement ?
Résumons : nous courons à la catastrophe, les troupes presque en déroute, les déserteurs se bousculent, pas de voie de secours, le moral est au plus bas, la panique n’est pas loin et au commandement un brave homme, un président normal, ambitieux sans en avoir les moyens. Il serait à sa place dans un monde en paix, dans une France sans dette, sans chômage, avec une croissance de 3% l’an et dans une Europe unie pour le meilleur, le pire n’étant plus à craindre.
À défaut d’en changer – les autres ne sont pas meilleurs – je propose de le changer et de lui greffer toutes les qualités que son papa et sa maman ne lui ont pas données. Nos spécialistes sont les meilleurs. Ils greffent les visages, les mains, le foie, les poumons, le cœur, etc. Je leur demanderai de transformer notre président ordinaire en un président extraordinaire. Les qualités qu’il n’a pas, il faut les chercher dans la légende des siècles.
La nation en danger doit mobiliser ses chirurgiens, ses généticiens, les neurosciences, la nanotechnologie, l’accélérateur de protons et de positons, les donateurs universels, les détrousseurs de cadavres, les pilleurs de catacombes, les hypnotiseurs, les généalogistes, les paléontologues, le Musée de l’Homme, le Palais de la découverte pour opérer, transfuser, transformer, manipuler, hypnotiser le petit François avec, en héritage, ou comme bagage :
-      La sagesse de Marc-Aurèle ;
-      le culot de César franchissant le Rubicon ;
-      l’intelligence d’Henri IV ;
-      la chance de Jeanne d’Arc boutant les anglais ;
-      le sang froid de Napoléon à Austerlitz ;
-      la volonté de Roosevelt ;
-      le courage de Churchill galvanisant son peuple ;
-      la fierté de de Gaulle refusant la défaite ;
On parlera alors de François le Grand, le Hollandais Géant, le sauveur de la France, le roi de la République……
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