Monsieur Moussa KONATÉ,
écrivain éditeur partageant son temps entre la France et le Mali, a publié chez
Fayard, en 2010, « L'Afrique noire est-elle maudite? ».
J’ai aimé ce livre intelligent, courageux. Aux bons soins de l’éditeur je lui en
ai fait le compliment et l’en remerciai. J’en profitai pour poser quelques
questions et émettre quelques réserves. Son silence fut éloquent et une réponse
pleine de sagesse pour clore un débat qui ne méritait pas un combat.
Je vous conseille de lire
ce livre. Il nous explique le poids de la famille, les raisons de la
corruption, de la polygamie et de toutes les autres raisons de la malédiction.
Vous saurez peut-être corriger
mon impression.
Voici la lettre que je lui
adressai:
Cher monsieur,
Avec votre livre « L'Afrique noire… » vous
avez réussi à faire comprendre ce qui se cache derrière les apparences qui
renvoient une image si souvent désespérante.
Vous explorez avec courage la société africaine et vous
l’expliquez avec lucidité et une sévérité qui n’exclut pas l’empathie. Votre
liberté de ton n’épargne personne, mais vous le faites avec le cœur et la
raison. Le résultat est passionnant.
C’est une plongée dans les ressorts de l’âme africaine qui
m’a révélé la méconnaissance que j’avais de ce monde proche si lointain.
Je ne me bornerai cependant pas à un exercice d’admiration.
Je voudrais vous faire quelques remarques, poser quelques interrogations et
oser quelques critiques.
Vous parlez de l’Islam mais n’abordez pas l’influence des
missionnaires chrétiens. Les nôtres ont pourtant accompagné le soldat et le
colon et ont été aussi acteurs de la colonisation des esprits. Le reliquat
est-il pour vous positif ou négatif ? Le message qui se veut universel
a-t-il fait oublier son origine ?
Page 197 vous décrivez un Occident en pleine décadence,
rongé par la cupidité et même la Science y est malmenée. J’ai lu ces lignes
avec un certain malaise car il y a une rupture de ton. On y sent affleurer une
haine pour l’Occident et peut-être pour sa partie que vous connaissez le mieux,
qui surprend.
Dans le même esprit de dénigrement vous opposez
l’admirable solidarité africaine envers sa famille prochaine et lointaine, sa
tribu, etc. - sans en cacher les dommages collatéraux – à celle qui prévaudrait
en Occident par exemple, à l’égard des personnes âgées, reléguées dans la
solitude des maisons de retraite. Votre familiarité avec notre pays aurait dû
vous permettre de nuancer ces propos car vous manifestez alors une ignorance de
la réalité à un degré moins excusable que la mienne vis-à-vis de l’Afrique que
je n’ai jamais fréquentée. Vous devriez savoir que la solidarité est, en France
notamment, la base de la société. Elle ne s’exprime pas sous la forme d’une
convivialité plus ou moins forcée, mais d’une façon institutionnelle avec une
Sécurité Sociale pour tous, une éducation pour tous. C’est elle aussi qui
finance les HLM, les indemnités versées aux chômeurs, aux handicapés, aux
parents célibataires, les aides au logement, aux étudiants, aux personnes
âgées, aux immigrés, etc. Son coût est énorme et met en difficulté notre
économie comme celle de nos voisins. C’est le signe d’une fraternité donc la
dimension et la motivation dépassent celles d’une famille africaine, si
généreuse soit-elle. Qui doit s’inspirer de l’autre ?
Toujours dans la même thymie et le même paragraphe vous
donnez votre opinion sur les laboratoires pharmaceutiques livrés aux mains de
familles cupides. Votre sens de la mesure est en défaut. Serai-je « racialiste »
en vous demandant si les vaccins qui demain préviendront le paludisme, la
dengue, le Sida, etc. sortiront d’un
laboratoire de Bamako ou de Soweto plutôt que de la division vaccin de
Pasteur-Sanofi ?
Vous étrillez les écrivains africains qui ont délaissé
leur langue pour celle du colonisateur. Cela veut-il dire que vos livres,
publiés chez Fayard, l’Harmattan, Gallimard, Présence Africaine ont été
traduits d’une des langues du Mali ?
Je crois que
c’est seulement le jour où l’Africain pourra dire comme Gide sans déprimer ni
être maudit des siens « Famille, je vous hais », qu’il pourra en
fonder une heureuse et construire un pays libre.
J’ai cherché à savoir sur Internet quel accueil avait
reçu votre livre en Afrique. Je n’ai rien trouvé qui me permette de savoir si
les médias, les politiques, les intellectuels avaient réagi à vos propos et si
un débat avait été lancé.
Au terme de votre livre j’aimerais être sûr de votre
réponse à l’interrogation que vous posez dans son titre. Le doute n’est pas
levé car le changement de mentalité indispensable supposerait que l’école
nouvelle qui intégrerait les richesses du passé aux promesses de l’avenir
aurait si bien fait son travail qu’un vrai et fécond lavage des cerveaux se
serait opéré. C’est une belle utopie. Mais où sont les élites africaines
ancrées dans l’Afrique qui, à l’exemple de celles qui, chez nous, avant 1789
avaient travaillé et éduqué les esprits pour les préparer à faire la révolution ?
Chez nous aussi tout était figé et paraissait immuable. Mais elles étaient actives
et luttaient, malgré la répression.
Dans votre premier chapitre vous dénoncez le discours
de Dakar de N. Sarkozy comme un exemple de mépris pour l’Afrique. Vous
n’employez pas le mot « raciste » mais vous le sous-entendez. Vous
n’admettez pas qu’il ait pu dire et développer le thème « l’homme africain
n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Vous l’avez trouvé injurieux.
Cependant, tout au long de votre livre vous montrez comment la sujétion de la
société africaine à une tradition paralysante lui rend difficile son adaptation
à l’époque. Vous dites la même chose que N. Sarkozy en écrivant, page 204 :
« Il faut faire le deuil d’une Afrique Noire éternellement semblable à
elle-même ». Ce message est le fil conducteur de votre livre. Vous a-t-on
accusé de faire du racisme anti-africain ?
Il me semble que vous relativisez le rôle de la
colonisation et de son traumatisme dans la situation présente de l’Afrique
Noire. Elle n’a été qu’un épisode d’une
histoire millénaire. Vous le prouvez en montrant qu’elle n’a guère influencé la
tradition. Le constat aurait-il été différent si elle n’avait pas eu
lieu ? Vous redonnez à l’africain la maîtrise de son destin en montrant la
transformation qu’il doit opérer. Vous décrivez bien quel énorme défi il doit
relever pour changer les règles d’une société sans en renier les aspects
positifs au point de la rendre soluble dans un monde axé sur le travail, le
rendement, l’argent, l’individu et l’égoïsme. L’exemple de la Chine, pays avec
un culte de la tradition et des ancêtres très puissant et qui a su évoluer à
une vitesse sidérante, au point de devenir un modèle de développement, devrait
peut-être inspirer les apôtres africains du changement.
Croyez, Cher monsieur, à mes sentiments les meilleurs,
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