Pitch
Confrontation de deux idéologies au bas d’un escalier, genre
conversation du café du commerce.
Décors. Personnages. Durée
Un escalier à double volute. Deux hommes (Pierre et Paul),
la quarantaine BC-BG descendent, chacun de son côté, pressés, occupés à lire un
journal. Ils se télescopent sur le perron. Confus ils s’excusent et pour se
faire pardonner engagent la conversation. Durée : 4′30".
Dialogue
PIERRE. Pas fameuses les nouvelles : la crise,
le chômage. Ça ne s’arrange pas. Les riches qui foutent le camp, tous les
autres avec leur smala qui les remplacent. Bonjour les dégâts…
PAUL. Vous paniquez. C’est pour ça que vous êtes
pressé. Êtes-vous sûr que ceux qui arrivent ne vaudront pas, un jour, ceux qui
partent ?
PIERRE. Ça ne vous fait rien de penser que les rats
bien gras qui quittent le navire avec les autres, des plus jeunes, malins,
actifs, pleins d’idées, de projets vont être remplacés par des rats faméliques,
incultes, haineux qui se sauvent de pays pourris par la maladie, la corruption,
la guerre, la famine, la haine ? Une greffe ne peut prendre que s’il y a
compatibilité entre le donneur et le receveur. Il faut qu’elle soit acceptée,
désirée, demandée. Vous avez beaucoup de points communs avec ces miséreux ?
PAUL. Vous regrettez les déserteurs. Vous crachez
sur la légion des étrangers qui se pressent aux frontières. Vous ne comprenez
pas qu’ils viennent combattre à nos côtés, nous rajeunir, nous fortifier. On
perdra un peu de notre pâleur, on gagnera un peu de leur noirceur. C’est ça qui
vous fait peur ?
PIERRE. La couleur de ma peau, je m’en fous. J’aime
bien être bronzé l’été. Plus longtemps, pas de problème. Ce que je crains c’est
la fission, pas la fusion, que le mélange soit impossible, comme l’eau dans
l’huile, c’est pas miscible. Vous agitez, vous insistez, chacun repart de son
côté, dans sa bulle, dans sa cellule. Un pays d’étrangers est divisé, fragmenté
et n’a rien à partager. Démolir en une génération ce qui a mis 2000 ans pour se
bâtir, pour vous c’est cool ?
PAUL. Mais, ma parole, vous allez pleurer, vous
déprimez. Le monde change, c’est son habitude. Un peu plus vite, apparemment.
Vous connaissez l’histoire de France mieux que moi. On a été servi en invasions
barbares. Depuis le début, depuis toujours. Vous voulez la liste ? Elle est
longue. Vous me pardonnerez si j’en oublie : les Ligures, les Ibères, les
Phéniciens, les Grecs, les Celtes, les Romains, les Wisigoths, les Ostrogoths,
les Saxons, les Teutons, les Vandales, les Burgondes, les Alamans, les Francs,
n’oublions pas quelques Huns en maraude, quelques Vikings en carafe. Vous
croyez qu’ils s’arrêtaient à la frontière et demandaient poliment « on
peut entrer ? On n’a pas de papiers »… Non, ils arrivaient avec armes
et bagages, à marche forcée du genre « ôte-toi de là que je m’y
mette ». Pas loin d’hier, plus civilement les Russes, les Polonais, les Italiens,
les Espagnols, les Portugais, les Algériens nous ont bien aidés pour tirer le
charbon des mines, la potasse d’Alsace, faire tourner les usines, construire les
maisons. Vous êtes sûr qu’ils ont été accueillis à bras ouverts, qu’ils ont
demandé : on ne vous dérange pas, on ne piétine pas vos
plates-bandes ? Ce qui se passe aujourd’hui est-ce différent ? Ils prendront
ce qu’on a de bien. On leur prendra ce qu’ils ont de mieux. En réalité, vous
avez peur de l’avenir car vous n’avez pas confiance en vous, vous croyez qu’on
vous attaque ? Vous devriez être reconnaissant : vous êtes encore
désirable. Ils ont besoin de vous, vous devriez être content.
PIERRE. Vous vous foutez de moi ? Vous trouvez
qu’avant c’était pareil à maintenant, que demain on se sentira chez nous chez
eux et eux chez eux chez nous. L’unité sans défaut dans la mixité, sans
partage. C’est la quadrature du cercle. Revenez sur terre. Tout change depuis
toujours, je suis d’accord mais vous ajoutez aussitôt : ce qui s’est passé
hier se passera aujourd’hui. Mais non, les mêmes causes ne produisent plus les
mêmes effets. Avec la globalisation, la libéralisation, la communication,
l’éducation qui fout le camp, les religions qui se diabolisent, les familles
qui éclatent, la fuite en avant, la peur des catastrophes à venir, le chômage,
la baisse des revenus, la montée des eaux, l’arrivée des pauvres, la fuite des riches,
les prisons pleines, les déserts médicaux, la Marine qui pète le feu, l’UMP qui
pète les plombs, tout change en mal, le progrès est un trompe-l’œil, la réalité
sordide.
PAUL. Vous me feriez peur si je ne savais pas que
vous avez tort. Vous devez avoir du mal à vivre. Vous vous croyez profond, vous
êtes superficiel, vous n’écoutez que ceux qui pensent comme vous : Valeurs
Actuelles, le Spectacle du Monde, Camus le petit, Minute, les déclinologues,
les prophètes de malheur, les prédicateurs de la fin de leur monde. Prenez de
la hauteur, l’air est pur, on voit loin, on respire mieux. Abandonnez les
tristes sires. Ils vous pourrissent la vie. Leur fonds de commerce en faillite,
ils liquident leur stock de vieilles lunes. Personne n’en veut. Ne soyez pas le
dernier client. Débarrassez-vous de vos préjugés rancis, ouvrez les yeux à
l’étrangeté, à la nouveauté, acceptez d’échanger, comparez, marchandez,
faites-vous expliquer. Vous apprendrez à vivre avec les autres. Ils ne vous
feront plus peur. Vos différences deviendront relatives, négligeables. Ah, une
dernière chose : vous avez de beaux yeux, tu sais ?
Fin
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