Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


mardi 18 septembre 2018

UN PARFUM D'EXCEPTION

Monsieur Martin, le célèbre nez de chez Jorlin, le parfumeur de la place Vendôme doit être content. Je lui ai envoyé un échantillon de ma dernière fragrance. Elle va l'enthousiasmer. D'abord par le concept: je cible les citadins des mégalopoles qui ont entendu parler de la campagne sans jamais s'y être promené. Ma composition très équilibrée va leur permettre d'y voyager sans se déplacer en toute sécurité. Ils ne risqueront pas de se heurter à un frelon asiatique, à un  moustique du Bengale, à une guêpe africaine ou à un taon méditerranéen.

Mon jus associe des senteurs végétales à des odeurs organiques issues de la faune locale et travaillées à l'ancienne par les méthodes traditionnelles. La touche originale est donnée par une huile essentielle de crottin de percheron. Ce fier canasson, orgueil des prairies du Perche, donne, quand il est nourri à l'herbe naturelle au printemps, été, automne et, en hiver, au foin de la Crau des fèces d'une qualité premium qui, si elles sont recueillies avec mille précautions (avant qu'elles ne touchent terre) ont des qualités odoriférantes exceptionnelles. Une extraction immédiate par chromatographie en phase liquide procure, en quantité réduite, le produit parfait. Il sera ajouté dans un deuxième temps à de l'essence de bouse de vache. La bouse de vache est, je le rappelle, un sous-produit de la mastication permanente (encore appelée rumination) de la cellulose de l'herbe par l'appareil digestif étagé du ruminant. Parce que paissant dans les monts du Cantal, seuls pâturages préservés de toute pollution industrielle et touristique, la vache Salers a l'exclusivité du recueil de sa bouse produite durant les mois de pâture estivale (estive). Les bouses sont laissées sur place, elles s'y dessèchent sous l'action conjointe du soleil et du vent. Ramassées sitôt après la première gelée, elles sont immergées dans de l'alcool de mirabelle à 66 degrés. Elles vont lui remettre les esters parfumés qui nous intéressent. Une distillation raisonnée en extraira l'alcool de bouse de vache  qui est mis à vieillir en fûts de chêne de la forêt de Tronçais pour s'y imprégner pendant un an du tanin qui fait la gloire du vin de Bourgogne.

Parce que je tenais à ce que mon parfum incite au voyage intérieur des citadins devenus casaniers, je  me devais d'ajouter une note exotique. J'y suis parvenu avec succès par un rappel de la Bretagne profonde. Cette province perdue aux confins occidentaux du continent européen, est connue par l'odeur du goémon, du sable frais et du fameux lisier porcin. Il parfume la brise qui souffle en permanence  de sa puissante odeur issue des porcheries familiales que tout bon breton associe à son potager et à son poulailler. Il en suffit d'une infime quantité, tant son pouvoir est grand, pour apporter la note  brute qui authentifie le label campagnard.

Je tiens secrète la proportion de chaque intervenant. La dilution de chaque composé dans le mélange final demande une extrême précaution et une grande expérience. Je l'ai acquise quand, au CEA, je pesais les neutrons lors de la fabrication de notre première bombe neutronique.

Une goutte de ce parfum plonge dans une ambiance champêtre très dépaysante pour le citadin habitué aux gaz d'échappement. Il se retrouve dans les écuries d'un haras qui jouxteraient une étable voisine d'une porcherie. Un esprit tatillon m'a fait remarquer, à juste titre, qu'il manquait l'odeur un peu sucrée du poulailler, autre figure emblématique du monde paysan. Dans la prochaine version, j'ajouterai cette note  bucolique.

PS: parallèlement, à la demande d'un collectif de paysannes, j'ai concocté un parfum qui fera connaître à ces nostalgiques  le remugle ensorcelant  des trottoirs, des avenues, des bouches d'égout  de la grande ville sauvage.
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