Il y a deux vies en nous. Elles semblent se confondre mais jamais ne se fondent. La cohabitation est forcée, leurs intérêts peuvent diverger, s'opposer.
Il y a le corps, une machine autonome pleine d'organes connectés les uns aux autres, animée par une énergie produite par une pompe puissante, infatigable si elle est bien entretenue. Elle fait la fortune de son mécano, le cardiologue. Alimentés de l'extérieur, des fluides porteurs l'irriguent de bonnes choses et d'autres se chargent d'éliminer les mauvaises. Ce système a une vitalité qui peut durer jusqu'à l'obsolescence programmée des pièces d'usure sauf quand un accident imprévu n'en décide précocement.
Ce système performant, simple malgré sa complexité, un composite de particules chimiques, de physique quantique de première génération mais encore "up to date" , disons -nous depuis notre colonisation, a atteint sa perfection chez la baleine à bosse, le colibri, la sauterelle, le grillon du foyer, la souris domestique et le martin-pêcheur entre autres. Il est couplé à une entité qui n'obéit à aucune loi physique ou chimique, n'a pas de matérialité mais une existence qui se fait entendre sans bruit. Son expression est diffuse, s'exprime dans la langue du sujet dont elle connait toutes les nuances. Cette deuxième vie habite la partie supérieure de la tête, dans le cerveau. Son siège et son mode de diffusion restent inconnus.
Un spécimen de la vie animale échappe à la loi commune et a fait son malheur par la faute d'un software dégénéré. À suite d'un bug d'origine inconnue mais qui nous voulait du mal, il s'est vu attribué une capacité particulière unique dans les annales qui, faute d'un autre nom mieux adapté, fut qualifiée d'intelligence. L'homme puisqu'il faut l'appeler par son nom, notre ancêtre pâtit de cette tare qui s'ajoute à l'instinct hérité des premiers cavernicoles et qui aurait été très suffisant pour vivre en harmonie avec les autres habitants de la nature. Son préjudice tient à ce qu'elle donne des idées contre-nature . Son nombril devenu le centre du monde lui a fait enchainer les catastrophes ( pour plus de détails , voyez votre livre d'histoire). Cette vie surnuméraire n'en fait qu'à sa tête qu'elle a mauvaise.
Alors que le corps vit au jour le jour avec une répétition des cycle liée à sa nature de la croissance à la sénescence, l'esprit dopé à l'intelligence n'est pas soumis à la même involution. Il suit une pente ascendante, s'enrichit en vieillissant. Il absorbe, retient, emmagasine ce qu'il voit, entend , sent, accumule les souvenirs. De ce trésor, il tire des inventions, des découvertes, du beau, du bon et tout le mal qu'il peut faire.