Jeunes enfants, maintenant plus vieux, vous vous rappelez
des joyeux films de R. Zemeckis dans le temps, surtout passé. Plus que de Wells,
il s’inspirait de nous, les français, qui adorons voyager dans le rebours. Avec
une délectation qui fait peine à voir nous recréons, obstinément, tous les
malheurs de nos ancêtres.
Nous retournons à belle allure dans nos époques guerrières
où les coalisés nous encerclaient prêts à défoncer nos frontières et où, à
l’intérieur, la guerre civile ravageait villes et campagnes.
Aujourd’hui, comme toujours – mais c’est consubstantiel, idiosyncratique,
ontologique, intrinsèque – nous livrons bataille.
Le front intérieur mobilise tous les civils en état de se
battre. On ne les appelle pas encore gardes civiles. Ils sont aux premières
lignes. L’ennemi est connu mais insaisissable, se fond dans le décor, fait dans
la défense passive, dresse des embuscades, joue de la surprise, aime les coups
bas, les traquenards, sabote les armistices.
Malgré leur bonne volonté, leurs bonnes intentions, de
bonnes paroles, nos troupes n’arrivent pas à contenir le chômage, la pauvreté,
le cancer, l’insécurité, la hausse des prix. Leur moral est en baisse, presque
en berne.
Mais, me direz-vous, ce que vous décrivez c’est une guerre
citoyenne. Elle a raison de galvaniser les forces vives de la nation. J’y vois
de la grandeur, pas de la faiblesse. Moi aussi, rassurez-vous, mais, pour la
gagner il nous faudrait des grands esprits, de belles âmes, du courage, de
l’imagination, des idées. Le moule est perdu. On ne nous mène pas à la victoire
mais à l’abattoir, nos irresponsables, des hiérarques issus de l’énarchie sont
aux commandes – depuis toujours –. Ils entretiennent sournoisement, pour garder
leurs palais, leurs fonctions, leurs prébendes, le pouvoir, une guerre civile
larvée, rampante, comme au bon vieux temps de Ravaillac, des bleus et blancs,
de la Commune. Ils la nourrissent en flattant les corporatismes cramponnés à
leur conservatisme hérité des bâtisseurs de cathédrales. Ils la cultivent en
arrosant grassement des syndicats croupions, acharnés à défendre des avantages
acquis, temporaires pour ceux qui ont encore du travail et définitifs pour les
enfants des troupes de l’État. Pour ne laisser personne démobilisé, ils
ressuscitent le mariage, un mythe disparu, pour faire s’affronter dans la rue
des unipolaires frustrés et des bipolaires furieux pour qui forniquer sans être
béni par un vieux célibataire vierge ou castrat est un péché.
Nos avatars gouvernementaux fractionnés en options, tendances,
nuances s’étripent dans leurs congrès, leurs palais, même au conseil suprême. Les
autres, dans l’opposition, s’opposent entre eux, n’arrivant pas à décider qui a
la plus grosse. Les écologistes déglingués par toutes les cochonneries qui leur
permettent d’exister s’épuisent en sorcellerie.
Le ministre des armées intérieures mobilise ses gardes qu’il
tenait immobiles, leur envoi en renfort ses compagnies de sécurité renforcée
pour réduire à néant des innocents et des fugueuses retranchés dans des champs
de muguet et de mâche. Un autre de ses collègues, tout aussi inspiré fait la chasse
aux riches, responsables du malheur des pauvres. Il renoue ainsi, ce ministre
régalien, avec un glorieux et royal ancêtre qu’il nous avait caché : Louis
XIV qui, dans un geste auguste et solennel avait signé, le 18 octobre 1685 la
révocation de l’Édit de Nantes condamnant à l’exil 200.000 protestants. Ils
avaient été accueillis, toutes cloches carillonnantes, en Allemagne, en Autriche,
en Belgique, en Hollande, en Angleterre. Ces ennemis de la France n’en revenaient
pas de ce royal cadeau fait d’or, d’intelligence, de savoir-faire, de
savoir-vivre. Cette saignée nous a rendus anémiques pour toujours.
Comme je vous le disais, plus on avance, mieux on recule.
L’état-major de l’ennemi extérieur regroupé à Bruxelles aiguise ses couteaux
avec les gnomes de Zurich cachés dans leurs coffres-forts, les traders félons
de la City retranchés dans leurs backrooms infâmes et les mercenaires de Wall
Street prêts à tirer leur épingle du jeu avant l’effondrement de la Baliverna.
Ils n’attendent qu’un instant de faiblesse pour exiger le remboursement des
prêts, la satisfaction de leurs revendications et l’abdication de notre
indépendance. Mais il faut détourner l’attention de ces menaces étrangères, ne
pas laisser cauchemarder sur ces cohortes mercenaires qui voudraient faire la
loi dans nos cités avant de la faire dans nos foyers.
Nos gouvernants renouent avec la folie guerrière de
Napoléon - quoi de mieux que la
tradition ? – sans retenir les leçons de son échec. Au début, il lui
fallait attaquer pour éviter d’être obligé de se défendre. L’épuisement venant,
il lui a fallu se défendre contre les attaques et comme il n’en pouvait plus,
ce fut Waterloo.
Nous n’en sommes pas là. Malgré la concurrence sauvage, les
faux amis, les faux alliés, l’inertie, l’aboulie nous avons encore la force de
tenir debout grâce aux stimulants autorisés, de garder le moral grâce à une
surconsommation de tranquillisants antidépresseurs remboursables, de ne pas
mendier grâce à l’assistance sociale générale. Nous sommes même capables de
projeter nos dernières forces dans des offensives off-shore. Incapables de faire
la paix entre nous, nous aimons jouer les faiseurs de paix dans des pays
incertains, de constitution fragile, aux frontières floues, sûrs d’y laisser
des plumes, d’en partir plus ou moins chassés, forts d’un masochisme ancestral,
armés d’une amnésie congénitale. Nous y partons sous les vivats des bellicistes
et des pacifistes sachant déjà qu’on en reviendra avec des rescapés, des
éclopés, des cercueils pleurés par des veuves et des orphelins. Une fois de
plus, on aura joué à la guerre perdue d’avance, là-bas aussi mal qu’ici.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire