C’est mathématique. Après les complémentaires, ils
s’attaquent à la principale, bien forcés, eux qui seront les derniers à
trinquer. Il faut s’y résigner, mais le pire est pour demain disent les
pessimistes, pour après demain disent les optimistes, quand un actif s’occupera
de 10 centenaires et que le nouvel emprunt servira seulement l’intérêt des
anciens. Il ne restera que les yeux pour pleurer, la soupe populaire pour
manger, une corde pour se pendre.
À moins que… quoi ? dites-vous avec une petite angoisse
en regardant le fiston, la bambina et un vague espoir en attendant la
suite ! Relax, pas d’affolement, c’est de la fiction, du mauvais cinéma, du
Scream à la corbeille, comme d’habitude. Ça n’arrivera jamais. Mais, surtout,
j’ai la solution : la rente perpétuelle. Un héritage des anciens temps, gagé
sur des valeurs éternelles. Leurs avantages vous mettront en appétit :
-
Jouissance immédiate, dès la prise de
conscience ;
-
Vente libre ;
-
Pas de quotas ;
-
Pas d’intermédiaire, de commission, de frais de
garde, de frais de port, d’impôt ;
-
Les dividendes sont payés en nature, au fur et à
la mesure des besoins ;
-
Et, surtout, c’est gratuit, c’est cadeau.
Les cramponnés à leur bas de laine, à leurs bons du trésor,
au livret A, B, C, les fanatiques du CAC 40 qui roulent en Citron chaussé de
Michelin, qui carburent au Total, se saoulent au Pernod, digèrent du Danone, se
garent chez Vinci, pas de souci, c’est compatible. Mais attention au krach,
s’en dégager avant l’écroulement de la Baliverna, enfin, c’est vous qui voyez.
Vous trépignez, vous vous attendez au mieux. Ouvrez vos yeux,
il arrive avec :
L’air pur
Ce mélange gazeux ne supporte pas la médiocrité. Sa
consommation est permanente. Il alimente le sang en oxygène, ce gaz de la vie.
Son absence est mortelle. L’air est de première nécessité, d’où sa place en
tête de gondole. Je m’intéresse à sa qualité extra : l’air pur. Le cahier
des charges est sévère. Son prélèvement se fait dans un environnement vierge de
toutes émissions de gaz nuisibles : oxyde de carbone, hydrogène sulfuré,
oxydes d’azote, vapeurs suffocantes, même les gaz rares doivent respecter leur
quota. Les gaz anesthésiques, capables d’endormir la vigilance et l’esprit
critique, sont prohibés.
Les fauteurs d’air vicié sont éliminés: seules les voitures
électriques sont admises dans l’enceinte. Les fumeurs, les individus souffrant
de mauvaise haleine sont interdits de séjour, les pétomanes priés d’aller jouer
de leur musique ailleurs.
AIR PUR doit être le pilier de votre portefeuille. Il lui donnera
du souffle, de la force.
l’eau de source
Autre valeur vitale, l’eau est un besoin, une nécessité, un
devoir à rendre à votre rein droit mais aussi, et même un UMP doit le savoir, à
votre rein gauche. Il y va de votre santé. L’eau doit être pure : ni
nitratée, ni mazoutée. Le plus sûr est qu’elle soit de source. La ressource est
épuisable car la consommation augmente. La denrée devient rare. L’offre réussit
à équilibrer la demande car les sourciers s’activent. Heureusement, le coudrier
est un arbre qui pousse bien, brûle mal.
Attention, ne confondez-pas, je parle de l’eau de source
sauvage. Rien à voir avec l’eau du robinet parfumée à la javel, l’eau du puits
enrichie en nitrates et surtout de son ersatz, l’eau dite de source estampillée
Danone, Nestlé. Captive dans sa bouteille de polypropylène, vendue très cher
pour payer la pub, c’est une eau en conserve. Pitié pour elle, ne soyez pas
complice. Faites un effort, oubliez l’eau embouteillée, sortez des sentiers
battus, lancez-vous à la découverte de sources inconnues, jouez au sourcier des
eaux nouvelles.
La ligne
d’horizon
Le type même de la valeur tranquille. Sa stabilité est
incomparable. Elle suit tous les mouvements de son heureux propriétaire. Vous
avancez, elle avance. Vous reculez, elle recule. Je la conseille aux paralysés,
aux immobiles, aux sédentaires, plus généralement à ceux qui veulent garder
leurs économies en l’état et ne pas prendre de risques.
Le clair de
lune.
La valeur cyclique par définition et sans surprise. Avec
elle, on sait quand elle sera à son zénith, quand l’éclipse aura lieu et que
son cours remontera. Son sommet reste la pleine lune. C’est un moment de
majesté où sa plénitude éclaire le monde de sa lumière bleutée qu’aucun peintre
n’a jamais pu saisir. C’est son heure de gloire et la raison de ma sélection. Sur
les conseils du psychiatre qui me suit, je la recommande aux cyclothymiques.
Leur humeur suivra ses phases. Ils seront enfin en harmonie avec le monde.
C’est donc une valeur thérapeutique, recommandée par les meilleures facultés.
Ceux dont la vue est fragile, qui, les nuits quand elle est pleine portent des
lunettes de lune, préféreront, pour ne pas s’éblouir, le clair de l’un de ses
croissants. Il y en a de toutes les dimensions et donc pour tous les goûts.
le ciel étoilé.
La valeur est sélective et ne peut être proposée qu’à une
clientèle très précise. CIEL ÉTOILÉ n’intéressera que des personnalités éprises
d’infini et qui ne sont pas rebutées par les questions, primordiales. Elles ne
doivent pas non plus être sujettes au vertige du vide sidéral. Cette peur se
guérit facilement si l’on prend la peine de s’informer. Le vide n’est que
relatif car rempli d’une foule de corpuscules en tous genres, très agités. Il y
a même, trop loin pour être dangereuse, de l’antimatière qui renvoie au néant
tout ce qui n’est pas de sa chapelle. CIEL ÉTOILÉ est présenté aux croyants
intégristes sous l’appellation de VOÛTE CÉLESTE. Le produit est le même. Il
s’agit seulement de s’adapter à une clientèle qui n’a pas complètement assimilé
la découverte de Galilée.
CIEL ÉTOILÉ est très dépendant de la qualité du ciel.
L’acheteur ne doit pas habiter sous le vent des tours de refroidissement d’une
centrale nucléaire ou dans le voisinage d’un complexe pétrochimique. Il
convient, pour profiter au mieux de l’action, d’aller bivouaquer dans une zone
semi désertique d’un pays sec et où les cheminées n’ont pas droit de cité.
Tamanrasset est la ville idéale. A cette condition CIEL ÉTOILÉ peut être acquis
en toute sérénité. Mais n’oubliez pas : valeur sensible au dépaysement.
le temps qui
passe
Il ne s’agit pas du bon vieux temps ni du beau ou mauvais
temps. Le premier ne reviendra pas et heureusement si on en croit les archives
qui s’ouvrent enfin. Les autres sont trop capricieux pour être retenus. Le
temps qui nous intéresse n’est donc pas celui supposé bon d’hier ni celui
changeant d’aujourd’hui mais le temps qui passe, sans début ni fin prévisible.
Dans ce temps-là, le Big Bang n’a été qu’un coup de tonnerre dans son éternité.
Ce temps est, comme l’espace, son complice avec lequel certains le confondent,
une valeur infinie qui, en plus, a la chance d’être éternelle. Elle ne se
déprécie pas. Quelle autre valeur peut se targuer d’une telle qualité ?
Immuable, elle laisse les autres traîner au fil de son courant. En
vieillissant, on a l’impression qu’il accélère, pressé d’en finir. Le temps est
propice aux illusions de perception. Il faut le savoir pour l’apprécier à sa
juste vitesse. Sa faiblesse est là : le temps se transmet difficilement.
Pour chacun, il a un terme et les pendules y sont remises à zéro. Je conseille
à mes amis en grand âge de ne pas tarder à s’en débarrasser. Pour me résumer,
LE TEMPS QUI PASSE vieillit mal. À acquérir et à consommer quand on est jeune.
L’air du temps
et le fond de l’air
Ce sont deux valeurs refuges que j’associe car elles sont
jumelles. La seule difficulté est celle du choix car l’offre est nombreuse,
chacun vantant le sien. Il faut faire une sélection rigoureuse. La mienne
atteint la férocité. Après beaucoup de recherches, de fatigues, de voyages dont
je tairai le nombre, une seule s’est imposée. Elle est au centre du Triangle
des Bermudes, cet archipel que vous trouverez dans l’Atlantique, et plus
précisément dans sa capitale « Hamilton » (32°17′ N
- 64°46′ W). L’endroit
est connu par la chanson de Mort Schuman mais a d’autres charmes qui sont des
vertus. Le climat y est tempéré et sa chaleur douce et constante permet le
bermuda à l’année. À l’écart de l’anticyclone des Açores, il n’est soumis à
aucune dépression. Cela garantit une stabilité à la valeur. Elle est assise sur
les trésors qui s’accumulent dans ses hauts et bas fonds sous-marins, à la
faveur des récifs qui ourlent délicatement ses côtes, à ses courants traîtres,
à ses maelstroms qui s’ouvrent subitement sous les coques. Le développement de
la navigation hauturière a fait la richesse des Bermudes. Bricoleurs et
entrepreneurs, les îliens ont relié directement ces endroits gorgés d’or,
d’argent, de pierres précieuses, de bouteilles d’Yquem par un système astucieux
de pipelines immergés et suceurs aux coffres forts des banques off-shore
établies le long de sa promenade des anglais et qui dominent les rochers les
plus productifs. C’est une valeur de croissance à la rentabilité assurée. La
valeur tentera le boursicoteur ayant eu des ancêtres dans la flibuste. Il se
fera plaisir tout en satisfaisant les mânes de ses aïeux.
L’espace
L’ESPACE
est une valeur piège. Il convient de l’aborder avec précaution. Seuls les
adeptes du saut à l’élastique, du parachutisme sans parachute, du patin à glace
sur un iceberg à la dérive dans les 40èmes rugissantes peuvent s’y risquer avec
profit.
Sur
terre, l’espace est limité par les murs, les barrières, les frontières, les
champs de mines, les interdictions de stationner, de circuler, etc. Le ciel est
certes un espace visible avec une limite qui va loin mais il est inaccessible
car la pesanteur nous colle au sol. Pour y voyager, voyez les boîtes en fer
blanc où on s’entasse pour courir le risque d’en tomber et de se faire mal.
L’espace
est donc une illusion, un mirage dans certains endroits. Des escrocs vous
proposeront des vues imprenables, des panoramas à couper le souffle. Méfiez
vous. Notre espace est limité. Il se rétrécit même. La mer monte, la terre
descend et il y a de plus en plus de monde. Si vous faites partie de ceux qui
n’ont peur de rien, embarquez plutôt sur la prochaine fusée pour Saturne.
Si,
difficile, votre bonheur n’est pas dans cette liste, vous le trouverez
ailleurs. Épicure et bien d’autres vous conseilleront. Leurs valeurs sont
recommandables. Vous pourrez les cultiver de façon intensive pour remplir votre
retraite éborgnée.
Les
bonheurs simples sont les plus accessibles : une gorgée de bière pour ceux
qui l’aiment, mais ce peut être un clin d’œil, un coucher de soleil ou, si vous
êtes un lève-tôt, un beau lever en regardant vers l’Est, une bonne fortune
fortuite, une petite brise, une grosse vague si vous êtes surfeur, du froid
quand il fait trop chaud, du chaud quand on a froid. En insistant vous en
trouverez plein d’autres.
Les
bonnes idées qui font les belles pensées donnent des bonheurs plus
sophistiqués. Ils demanderont des sacrifices. D’abord, gagner du temps en ne le
perdant plus à regarder monsieur Arthur, la famille Drucker, les cadavres des
Experts, de Dexter, de Bones. Puis, en réapprenant à lire pour savoir ce que
les livres ont à vous dire. Cette caverne d’Ali-Baba est à chercher sur les
rayons des bibliothèques et dans les médiathèques. Et puis, entre deux
promenades, deux rêves, deux lectures, vous aurez une petite faim. Plutôt que
de remplir votre caddie de cochonneries surgelées toutes préparées, à
réchauffer, apprenez à cuisiner, à mijoter des bons petits plats avec de bons
produits, sans pesticides, achetés pas loin de chez vous. Vous économiserez
dans le pharmacien, le chirurgien, éviterez l’obésité, le cancer,
l’hypertension, l’infarctus, vous n’aurez pas perdu votre temps, vous éviterez
des grands malheurs remplis de douleurs.
Les
valeurs que vous aurez ajoutées à votre troisième âge compenseront la baisse de
revenus. Comprenne qui voudra !
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