Plus que la
pierre philosophale et la panacée universelle l’élixir de la vie obsède.
Pourquoi ? On sait bien qu’il faudrait vivre un conte de fées pour trouver
les deux premières tandis que nous vivons une réalité qui se termine vite, sauf
pour Mathusalem qui, pendant 969 ans, en a profité en s’amusant beaucoup. Son
exemple le prouve : survivre est possible avec l’élixir de l’ancêtre
biblique. Pas l’original, car la tombe et son secret enterré avec lui ont été
lessivés deux générations plus tard par un fort déluge dont Noé et sa famille
furent les seuls rescapés, comme vous le savez. Vous êtes assis ? J’ai
découvert un générique de la potion magique. Prescrire est en attente, Sanofi
aux aguets, la Sécu aux abois.
Comment
avez-vous fait ? Me pressez-vous. J’ai trouvé simplement que la
plaisanterie avait assez duré. Depuis au moins 2000 ans, ils ont tout essayé.
Rien ne marche.
La dernière
méthode à la mode m’a décidé. Vous la connaissez peut-être. Je l’ai apprise de
Monique Atlan et Roger Pol-Droit (Humain – Flammarion 2012, page 97). Un
américain (les Ricains, toujours prêts à faire la guerre, sont à l’avant-garde)
qui se dit trans-humain bouffe 200 pilules par jour pour reprogrammer son ADN
et retarder le vieillissement. Son malheur est qu’à 60 ans il en paraît 60 et
qu’il est le seul à ne pas s’en apercevoir. Il fallait en finir. Je me suis mis
à réfléchir (c’est avec la sieste, les visites aux pâtissiers et le planter des
choux ma principale occupation). Ce ne fut pas long : d’un peu de
réflexion, d’observation et de déduction est venue la solution.
La vie est
une flamme née d’une étincelle et qui va perdre, au fil du temps, sa force, son
éclat. Elle finit par mourir quoi qu'on fasse et c’est en regardant les bûches
flambées dans mon poêle que la lumière fût ! La qualité du bois
conditionne la durée de son feu. Du chêne sec, dur, lourd, au grain serré, à
l’aubier étroit brûle longtemps, dégage de la chaleur, laisse peu de cendres, à
la différence du peuplier, du bouleau, des bois tendres, légers qui ne pensent
qu’à pourrir sitôt coupés, se consument vite, chauffent peu.
Notre
erreur mortelle est là, dans l’alimentation. C’est elle qui nous condamne. Nous
mangeons des aliments périssables. Comment devenir immortels puisque nous
sommes faits de ce qu’ils sont. Le secret est dans le contraire. Il faut se
nourrir de ce qui ne fait pas que passer, comme nous. Elle est pleine d’autres
spécimens, des végétaux qui, une fois installés, voient défiler les siècles.
Chez eux, nous ferons notre marché.
Pour
l’essentiel un potager est suffisant. N’y pousseront que les légumes
perpétuels. Peu sophistiqués, presque sauvages, ils ont la particularité de
vivre des années.
Nombreux,
j’en énumère quelques uns : l’oignon rocambole (Allium cepa var proliferum),
le poireau perpétuel à gousses (Allium porum), le chou perpétuel
‘Daubenton’ (Brassicae oleracea convar. acephala), le chou marin (Crambe
maritima), le chénopode Bon Henri (Chenopodium bonus-henricus),
l’oseille épinard (Rumex patienta), le melon-poire ou pepino (Solanum
muricatum).
Vous en trouverez la liste et
la manière de les cultiver sur Internet.
Il y a aussi les plantes
vivaces. Certaines sont bonnes à déguster. Elles vous donneront la vivacité qu’il
convient pour profiter de toutes les années que vous allez gagner.
Si votre amour de la vie est
infini, si jamais l’ennui vous effleure, si vous vous sentez prêt à affronter
les siècles des siècles, dégustez en potion, en tisane, en gelée, en apéritif,
en digestif, les immortelles. Elles embellissent le jardin, séchées, elles
resplendissent dans les vases. Je vous recommande une immortelle de
Corse : l’Helichrysum italicum. La Princesse Nausicaa lui devrait sa beauté et
Ulysse son énergie. Son huile essentielle, un anti-âge est l’ennemi redouté du
temps. Elles m’en voudront, ces discrètes, d’avoir dit ce qu’elles cachaient.
-
« Mais
je ne suis pas végétarien. Il me faut du solide pour tenir le coup du matin au
soir. Ce ne sont pas quelques feuilles de vivaces, quelques pousses de
perpétuelles et des pétales d’immortelles qui me donneront la force de coltiner
mes 80 kg et de porter, en plus, mes bagages. Je ne passe pas mon temps dans un
fauteuil ».
-
« Sachez
monsieur que mon cerveau consomme plus que vos deux mains calleuses. Du calme,
je n’ai pas fini votre menu.
Pour
vous rien ne vaut le bifteck bien saignant, l’andouillette, le pot au feu, le
poulet, enfin une viande rôtie, braisée, grillée, fumée pour éviter quelle ne
se faisande, la façon aristocratique de dire pourrir pour ne pas vomir. Elle vous
fait saliver tant qu’elle n’est pas asticotée. Je vous l’apporte dans un plat
de lentilles ».
La lentille, quelle belle
graine. Elle contient tout ce dont vous avez besoin. Si elle ne vous suffit pas
vous trouverez d’autres protéines végétales dans le soja, les pois chiches.
Mais la lentille a fait ses preuves. Elle vient du fond des âges. Torréfiée,
moulue, en farine, elle fera du pain, des gâteaux, des biscuits, des crêpes.
Elle calmera votre faim, vous fera plaisir, des muscles. Elle vous évitera de
tuer les veaux, de massacrer les poulets, d’équarrir les chevaux, de fusiller
les lièvres, les lapins, les faisans, de vous couvrir de sang, de honte.
Pour se conserver, pas
besoin de conservateurs. Ils sont dans ce que vous mangerez mais vous pouvez
rajouter du sel, du sucre, du jus de citron, du verjus, de l’alcool. Pour le
vinaigre, j’essaie d’en faire avec un vieux Loupiac, gras, épais, très écœurant,
il colle à la bouche. Il a le parfum et le goût du suc et des sucres des fruits
confits. Il se boit à la petite cuillère. S’il arrive à tourner en vinaigre il
ne devrait pas avoir besoin d’huile.
J’en ai fini avec le plat de
résistance de mon exposé. Pour rester vert très longtemps il ne suffit pas de
préférer la chlorophylle à l’hémoglobine.
Des décennies avec de la
charcuterie, on y arrive, mais dans quel état ! Ce qu’il vous faut pour
être content ce sont des siècles, des millénaires. Vous êtes jaloux des
séquoias. Avec un ou deux milliers d’années ils impressionnent mais c’est
surtout leur taille qui étonne. Il y en a d’autres, plus vieux, toujours
vaillants. L’olivier est de cette trempe, celui de Roquebrune-Cap-Martin a 2 000 ans, porte toujours beau
On le prendra comme
modèle. Il résiste à tout. Même à la folie des espagnols qui inondent les
jardineries de leurs beaux oliviers. Ils les déracinent, les mettent dans des
grands pots, trop petits. Ingrats, ils les exilent après des siècles de loyaux
services à faire de l’ombre, des olives, de la bonne huile et de la beauté dans
le paysage.
De l’olivier il faut
manger les fruits et boire son huile, celle de la première pression, à froid.
Pour nos résumer, avec
des légumes perpétuels associés à l’huile d’olive, de la viande végétale, des plats
et des salades de plantes perpétuelles parfumées d’immortelles vous aurez du
temps à perdre.
Mais, est-ce
suffisant ?
Quoiqu’il vous en
coûte, je suis obligé de dire NON. Rendre extraordinaire votre ordinaire vous
demandera des sacrifices mais, que ne feriez-vous pas pour rire bien et le
dernier ?
Deux
additifs sont nécessaires :
1/
L’or en paillettes ou en pépites. Inaltérable, imputrescible, inoxydable il est
aimé depuis toujours. Ce n’est pas chez le bijoutier ou le monnayeur que vous
trouverez celui qu’il vous faut. Fondu, frappé il a perdu ses qualités
nutritives. Il doit être natif et c’est l’orpailleur qui vous le vendra. Ce
petit métier a failli disparaître mais, avec la remontée de son cours ils
recommencent à bâter dans les torrents. Il y en a certainement un, pas loin de
chez vous, car nous vivons dans un pays en or.
Il
a aussi l’avantage d’être réutilisable ad vitam aeternam après tamisage et nettoyage.
Le
deuxième complément, rare, coûteux, est du charbon qui, taillé, biseauté,
monté, devient diamant. Ce serait bien si, une fois par semaine, en alternant
avec quelques paillettes ou une pépite pas trop grosse vous puissiez en avaler
un. Comme il est éternel, il vous cédera ce qui le rend si beau, si solide. Dur
à cuire, il raie tout. C’est pourquoi il doit être bien poli, si possible en
mille facettes. Le même tamis servira et le cycle recommencera.
L’élixir
de longue vie de feu Mathusalem n’avait donc rien de mystérieux, pas de terres
rares, de plantes inconnues, de magie noire. Étant fait de ce que l’on
mange il avait compris que pour durer plus qu’une éphémère il fallait croquer
de l’éternel. Prescrire peut respirer, Sanofi se rhabiller, la Sécu se calmer…
Il n’y a que les caisses de retraite à paniquer...
Questions :
1/
Vous croyez aux 969 ans de Mathusalem ?
- Non,
pendant longtemps, mais c’est sûr depuis qu’on a déchiffré dans un papyrus
trouvé dans l’arche de Noé sur le Mont Ararat un faire-part de décès qui
disait : «---la tristesse-- décès--- grand-père-- dit Mathusalem----
affection -----970 année… »
- C’est
officiel, la famille peut finir son travail de deuil.
2/
Est-ce que ça marche ?
- Je ne sais
pas. Ça vient de sortir. Patience, attendez de me voir dans 100 ans...
3/
Votre vinaigre au Loupiac, on peut y goûter ?
- Là encore
il faut attendre. Il est dans le vinaigrier. Pour le moment faites comme moi,
du jus de citron de votre citronnier non traité.
4/
De l’or et du diamant, vous êtes en cheville avec les bijoutiers ?
- Ah,
l’incrédule ! Et vous votez.
-
L’or
et le diamant, en allant de la bouche au trou terminal, sont lessivés par les
secrétions digestives, caressés par les muqueuses, chatouillés par les
villosités. Ils abandonnent au passage un peu de leur énergie, des souvenirs
qui arrivent des entrailles de la terre et de la nuit des temps. C’est
invisible, indicible, disponible, c’est homéopathique (une
dilution CH 16 ou 32, c’est de la dynamite. La loi d’Hahnemann l’a décrété en
1796, Benveniste l’a démontré (1988). Une pointure, estampillée INSERM,
souvent imité jamais égalé). Pourquoi s’en priver ?
5/ À quel
âge commencer votre régime ?
-
Ça
dépend. Vouloir vivre sans arrêt suppose un bel optimisme, un esprit
d’entreprise qui saura s’occuper.
-
Ceci
acquis, commencez au mieux de votre forme. Laissez passer la crise de
l’adolescence, établissez-vous, soyez à l’aise. Vers la quarantaine, capable de
sauter, de courir, les pectoraux toujours bombés, les abdominaux sans relâche,
le cuir chevelu garni, l’œil perçant, l’ouïe fine, fringant, entreprenant, vous
pouvez penser à prolonger votre futur.
Si vous
attendez d’être un jeune vieillard pour suivre mes recommandations, vous aurez
déjà la cataracte et la surdité qui s’installent, l’arthrose qui fait mal, la
prostate qui grossit, etc. Est-ce trop tard ? À vous de savoir s’il vous
reste beaucoup à voir.
Mais, si
vous vous levez péniblement, avez peur de vous pencher, ne voyez que les
grosses lettres, n’entendez que les grosses voix, quand le chocolat est amère,
le sucre écœurant, le sel fade… Quand on n’aime que son chien, le temps de ne
plus vieillir est passé. Je vous conseille plutôt un sommeil de plomb.
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