Le regard que nous portons sur un paysage change avec le temps. Le changement va bien au-delà que celui que le temps lui a infligé et aux choses qu'il contient. Notre œil l'enregistre, le note, le met en mémoire et, instantanément, le confronte à tous les souvenirs, les impressions, les sensations qu'un paysage peut susciter, déjà vu ou inconnu. Ce filtrage modifie sa substance. Le regard cesse d'être objectif et passe en mode subjectif. Nous nous l'approprions. Le changement vient de notre intérieur, il nous est spécifique, c'est pourquoi chacun voit un paysage différent. Les souvenirs, leur rémanence, leurs séquelles sont des informations accumulés qui transforment la réalité pour la rendre compatible avec ce que nous sommes.
Là où nos yeux voient un abricotier, nous voyons aussi le scion planté il y a 20 ans, celui que nous étions, nous le voyons grandir, il nous rappelle des inquiétudes, les gelées, les élagages, les traitements, les années grasses, les années maigres, les confitures, le plaisir qu'il nous donne, sa générosité, son silence, son ombre. Nous l'aimons autant qu'il nous aime, peut-être. L'allée d'érables, la haie de thuyas nous chuchotent la même chose et nous les voyons avec le même attendrissement que du temps où nous étions jeune comme lui, la nostalgie en plus. Ils étaient, nous aussi, confiants dans un avenir qui ne les a pas déçus car ils nous contemplent de haut. Généreux, ils nous protègent en nous faisant de l'ombre.
Il n'y a pas que la vue que le temps modifie, notre opinion aussi. Nos avis, nos sentiments, nos sensations sont déformés, enrichis, appauvris par toutes les émotions vécues Elles transforment le paysage intérieur, notre réflexion, nos idées .La virginité de l'esprit de l'enfance a disparu avec les ans et l'expérience.
Il est notre meilleur ami et notre pire ennemi. Il nous fait grandir, puis vieillir et mourir quand il a estimé que nous l'avions assez occupé.
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