Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


vendredi 14 juin 2013

LES AVATARS DE L’ADOLESCENCE (6)

Ou l’origine des malheurs du monde


CHAPITRE VI


LE MÉPRIS



La rétention des sentiments et sa difficulté à communiquer n'est pas la seule scorie de l'adolescence. Le mépris est aussi dans l'héritage.
 
 C'est un sentiment primaire, directement issu de cette période. Il est l'un des moteurs qui gouvernent l'attitude particulière et sous-tendent les rapports humains. Il anime le politicien comme le missionnaire, conditionne l'urbanisme et la politique salariale, explique les guerres.
 
 L'installation du mépris dans la conscience humaine se situe à l'adolescence. L'enfant l'ignorait. Il accepte naturellement la supériorité de l'adulte ou de plus grand que lui, même s'il en souffre. Le mépris qu'il manifeste n'est que l'imitation d'un plus âgé que lui.
 
L'adolescent a acquis les moyens de comparer, raisonner, mesurer, hiérarchiser les valeurs. L'habitude ne le quittera pas. En quête d'identité, il a choisi des modèles, des héros. Il rejette, condamne, ignore et plus souvent méprise ouvertement ceux qui ne pensent pas comme lui, ne partagent pas ses enthousiasmes, ses opinions, ses dégoûts. Le mépris a pris racine.
 
Il ne cessera de prospérer car tout le cursus éducatif conspire en sa faveur. Il n'est qu'une succession d'examens et de concours. Il sélectionne une population qui s'est lentement convaincue - avec la complicité enthousiaste des maîtres et des parents - qu'elle était la meilleure, la plus intelligente. Un complexe de supériorité inévitable s'est donc lentement implanté. Il justifie toutes les ambitions et c'est pourquoi elle gouverne la France. Nous verrons comment elle le manifeste.
 
Le mépris n'est pas l'apanage des bêtes à concours. Il est à la portée et à la mesure des moyens de chacun. Il se déclenche dès l'instant où une supériorité sur l'autre est manifeste. La culture du mépris est donc à l'œuvre partout. La vie sociale, professionnelle, politique le sécrète en permanence et naturellement.
 
Imaginons une entreprise, une société, une administration. Monsieur Dupond, cadre moyen, est nommé cadre supérieur. Il grimpe un échelon dans la hiérarchie. Cette promotion peut être due à l'ancienneté, récompenser une compétence. Quelle qu'en soit la raison, il s'agit d'une distinction qui l'élève au-dessus de ses anciens collègues, restés cadres moyens. L'heureux impétrant ressent cette élévation, ce meilleur salaire comme la juste récompense d'un mérite supérieur. Sa relation avec eux s'en trouve instantanément modifiée, même s'il proteste de sa fidélité à ses ex-compagnons. Mille détails montreront son changement de statut et le changement de comportement des autres le confortera dans sa nouvelle. Il n’appréciera pas ceux qui, à l'opposé, montreront ostensiblement que, pour eux, sa valeur humaine et professionnelle n'a pas subi d'inflation du seul fait de sa promotion. Le rappel du principe de Peter ne le fait pas rire. Le slogan "un chef a toujours raison" n'est pas une boutade. Tous, du plus petit au roi en exercice en sont convaincus car c'est l'ordre des choses qui l'a placé à son rang et comment admettrait-il qu'un inférieur ait un meilleur jugement?
 
Le raisonnement - simpliste mais sans beaucoup d'exceptions - sécrète le mépris des deux partenaires. Le plus dangereux est celui qui a la puissance de la structure qui l'a placé dans sa position dominante. Le mépris de celui qui se sent sous-évalué est moins affiché, mais il est finalement tout aussi pernicieux pour la société, car il s'additionne à celui de tous les collègues qui souffriront de la même impression. Le mépris n’est pas facteur de productivité, de cohésion sociale.
 
L'élection a un poste politique est aussi une promotion sociale et à ce titre un puissant catalyseur de mépris. C'est la raison qui fait que les électeurs sont rarement longtemps satisfaits de leurs élus.
  
Une élection donne à l'heureux élu la preuve multipliée par le nombre de ses électeurs qu'il est meilleur que ceux qui ont été battus. Il acquiert ainsi la conviction que son programme, mais aussi sa personnalité, sa force de conviction, son intelligence, sa séduction ont une qualité tellement exceptionnelle qu'elle a été remarquée.
  
Comment résister à une telle caresser ? Le sentiment est, bien entendu, proportionnel à l'importance de l'élection. L'euphorie du conseiller général élu dans un obscur canton avec quelques voix de majorité ne pourra être comparée à celle qui réjouit le député élu au premier tour avec une large majorité et encore moins à l'exaltation qui doit saisir le vainqueur d'une élection à la présidence de la République avec des millions de votes en sa faveur. On comprend l'acharnement à conquérir un tel mandat, à le garder ou à le reconquérir. Comment une personnalité pourrait-elle résister à un tel succès?
 
Ce mépris est déraisonnable par nature car il généralise une supériorité reconnue et admirée par la société dans un domaine particulier: technique, sportif, politique, intellectuel. Être le meilleur dans la façon de peindre, de discourir, de calculer, de parler, de sauter, de comprendre les mathématiques, la physique, le latin, de gagner de l'argent, ne signifie pas que cela soit vrai pour tout. Les personnalités capables de lucidité et de sagesse dans une telle situation sont rares.
  
Le mépris, fait culturel, programmé par la société trouve dans l'adolescent une personnalité réceptive puisque sa réaction naturelle aux frustrations lui donne déjà une appréhension négative de l'autre.
 
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