Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


samedi 15 juin 2013

LES AVATARS DE L’ADOLESCENCE (7)

Ou l’origine des malheurs du monde

 

CHAPITRE VII

 

ILLUSTRATIONS

 
Il suffit d'observer les comportements pour se rendre compte que la rétention des sentiments et son commensal le mépris sévissent dans tous les domaines de l'activité humaine.
 
Le cirque, l'opéra, un théâtre, un concert sont autant d'observatoires. Quelle que soit la témérité des acrobates, le courage du dompteur, la grâce de la danseuse, l'humour de l'humoriste, le talent du chanteur, la virtuosité du musicien, la force des comédiens vous verrez autour de vous des dizaines de spectateurs qui n'applaudissent pas. Ils sont secs, guindés, les mains immobiles. Ils sont trop nombreux pour être tous des mélancoliques en permission de sortie. Applaudir est un remerciement, une expression du plaisir ressenti que l'on partage avec les autres. C'est aussi la reconnaissance de la supériorité de l'artiste et du cadeau qu'il vient de nous faire. Implicitement, nos vivats proclament une infériorité dans le domaine où il vient de briller. Nous sommes à nouveau dans la situation que nous avons tellement détestée: celle de l'adolescent inexpérimenté face à un adulte sûr de lui. Le rappel peut être insupportable à certains.
 
La maîtresse de maison s'est affairée toute la journée pour préparer le dîner qu'elle offre ce soir. Elle a choisi des plats exotiques pour surprendre. Le repas est réussi. Quelques Oh!, quelques Ah!, mais surtout une circonspection, une mastication soupçonneuse à l'affût d'une saveur trop étrange pour être honnête, viennent la récompenser bien mal de son travail.
 
Vous avez écrit un livre, publié un article, exposé vos tableaux dans une galerie, gagné un concours, été promu, etc. Imaginez toutes les situations où vous êtes amené à vouloir faire partager votre satisfaction avec l'entourage. Vous espérez l'expression d'une complicité amicale, des félicitations sincères ou une critique qui vous prouvera que le livre a été lu, la peinture regardée, la performance admirée. Votre attente sera déçue. Les réactions, s'il y en a, seront discrètes, timides, parcimonieuses. Elles proviendront plus facilement d'inconnus. La discrétion dont vous vous plaindrez dérive directement de la constipation des sentiments.
 
Offrir un repas, une lecture, une vision, une promotion, un record, c'est vouloir susciter une appréciation flatteuse sur soi-même et faire reconnaître son esprit, son talent par ceux dont on suppose que notre plaisir causera le leur et qu'ils nous en sauront gré. Le calcul est faux.
 
Nous demandons à l'ami ou à la relation un retour gratifiant à une action, un geste. L'intention de l'offrande était de créer de la joie mais surtout l'envie d'être récompensé. Il est bien connu que le cadeau fait surtout plaisir à celui qui le donne. Celui qui reçoit joue le rôle imposé du père auquel l'enfant demande une récompense qu'il estime mériter. La prétention est osée. Combien de fois dans l'enfance - et encore plus souvent dans l'adolescence - n'a-t-il pas été rabroué injustement sans avoir obtenu le signe espéré? Pourquoi faudrait-il aujourd'hui qu'il se montre plus généreux envers un autre? Qu'a-t-il vraiment fait de supérieur à ce qu'il faisait, lui, pour mériter un meilleur sort? Les deux acteurs de ce mini-drame ont donc de bonnes raisons d'être mécontents: l'un parce qu'il n'aura pas reçu la confirmation de son mérite, l'autre parce qu'on a ressuscité des frustrations anciennes l'obligeant à jouer un personnage qu'il a détesté.
 
D'innombrables rancunes familiales s'éternisent, de nombreux conflits professionnels naissent ainsi, parce que le hasard met aux prises deux interlocuteurs dans une scénette qui remet à la mode des usages que l'on aurait espérés oubliés. Ils potentialisent la tension et la rendent disproportionnée pour l'enjeu du moment.
 
Le phénomène n'est pas limité à la vie quotidienne. Il est à l'œuvre dans beaucoup de scénarii de l'actualité internationale où sa responsabilité n'est jamais évoquée. Les stratèges, les commentateurs, les spécialistes lui préfèrent des causes géopolitiques, historiques, raciales, économiques. L'oubli a l'avantage d'éliminer un facteur humain peut-être dérangeant et inopportun à ce niveau de considération. Il détermine à sa façon habituelle un comportement déjà rencontré et qui produit les désastres connus.
 
Si la diffusion du phénomène à la vie quotidienne complique inutilement les relations, gêne la convivialité, sa gravité tient à sa généralisation aux domaines beaucoup plus transcendantaux que sont la politique, la religion, l'urbanisme, la médecine, la paix. Elle le doit à la fatalité - programmée par l'éducation - qui propulse aux postes de décision ceux qui en sont les plus imprégnés car ses valeurs, quoique négatives, s'avèrent les plus aptes à obtenir les commandements dans la cité.
 
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