Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


dimanche 16 juin 2013

LES AVATARS DE L’ADOLESCENCE (8)


Ou l’origine des malheurs du monde


CHAPITRE VIII

 

LES MÉDECINS

 

Ils font partie de cette classe privilégiée qui a vécu une adolescence prolongée, encadrée de structures protectrices. Ils arrivent dans une société où la santé est devenue la préoccupation première. Ils ont acquis de ce fait un pouvoir moral et économique important.
 
L'immense majorité a reçu de sa décennie de confrontation à la souffrance et à la mort, au chevet des malades, des moribonds une leçon qui vaut toutes les initiations. Si cette post-adolescence a eu quelques délices, les nuits de garde, les plaies du corps et de l'âme, leur purulence accélèrent une maturation, enrichissent une personnalité. Le futur médecin emmagasine au fur et à mesure de sa formation une expérience unique, exceptionnelle qui ne peut que l'aider à se connaître lui-même: lui qui a interrogé ses semblables sur leurs peurs, leurs angoisses, leurs anxiétés, leurs obsessions. Ces bilans ne l'exonèrent pas des mêmes problèmes mais l'analyse clinique et psychologique est un gage - non infaillible - de lucidité.
 
Le médecin a donc, plus que quiconque, la possibilité de devenir un adulte. S'il avait gardé quelques illusions de son adolescence, moment où sa vocation s'était manifestée, son exercice se charge de les lui enlever. Il comprend très vite que sa profession n'est pas un conte de fées, que le discours traditionnel, toujours lyrique, qu'employaient les anciens en parlant d'eux-mêmes et de leur métier appartient au passé, s'il n'a pas été rêvé. Il apprend que le rapport singulier qu'il entretiendra avec le malade dont il aura su gagner la confiance par son talent et son dévouement sera une récompense aussi exquise que rare. La mentalité du client a changé, en effet, maintenant que le droit à la santé est une revendication qu'il est sommé d'assurer, lui qui sait la limite de son pouvoir sur la mort et la maladie.
 
Les mêmes cheminements n'ont pas forcément les mêmes aboutissements. La population médicale n'échappe pas à la règle. Certains médecins refusent -consciemment ou inconsciemment - la leçon des épreuves de leur longue initiation. Ils conservent malgré tout une juvénilité qui va les inspirer.
 
Nous ne faisons figurer que pour mémoire dans ce cadre le médecin médiatique. Il est trop rare pour être un archétype. Il ne supporte pas l'exercice discret, obscur. Le sien doit être annoncé, développé avec fracas, publicité et, si cela est nécessaire, en choquant. Le secret professionnel, la déontologie ne sont pas son affaire. Cette exubérance, cette agitation, cette soif de reconnaissance, ce contentement de soi, cet exhibitionnisme ignorent la discrétion, la modestie, l'autocritique. Tous ces aspects autrefois sympathiques chez l'adolescent sont réunis chez ces adultes souvent aux abords de la vieillesse.
 
Deux autres types de médecins posent davantage de problèmes car si leur pourcentage est petit, leur nombre absolu finit par impressionner.
 
Les opportunistes choisissent un chamanisme rémunérateur, exploitent la crédulité, la mode, la désespérance. D'autres, plus classiques mais encore cyniques, feront une médecine ou une chirurgie qui se moquera des règles de prudence et de bon sens en multipliant actes et prescriptions.
 
Ces médecins sans sagesse ni réflexion ont encore l'avidité de leur adolescence dont ils ne finissent pas d'assouvir les envies et d'en faire payer les frustrations à des patients innocents. Leur égoïsme copie leur narcissisme ancien. Ils se vengent des années d'étude, d'effort, de privations pendant lesquelles ils patientaient. L'indépendance et la satiété sont arrivées trop tard.
 
Ils souffrent aussi, comme tous les étudiants prolongés, d'un complexe de supériorité qui ne peut naître et proliférer que chez des esprits immatures qui n'ont pas appris la relativité des choses. Leurs connaissances et leurs diplômes les font se sentir supérieurs, comme l'est l'adolescent à qui la nature vient de donner de nouvelles possibilités intellectuelles et qui méprise ceux qui ne partagent pas ses idées. Ils n'exercent leur esprit critique que sur les autres. Le sacrifice qu'ils estiment avoir fait pour acquérir le diplôme de médecine renforce la bonne opinion qu'ils ont d'eux mêmes. Le tribut financier, moral, vital même qu'ils prélèvent n'est - pensent-ils - que la récompense d'un mérite supérieur.
 
L'actualité de la médecine permet de saisir, malheureusement, d'autres comportements. Ils montrent avec cruauté la profondeur de l'empreinte de l'adolescence et ses répercussions dans l'attitude, les décisions de ceux-là même dont on pouvait espérer que la formation et la vocation allaient mettre à l'abri de telles tentations.
 
Régulièrement, les instances ordinales nationales sont obligées de marteler que les médecins doivent faire preuve d'humanité envers les malades dont ils ont la charge en parlant, en expliquant, en rassurant et en ne se réfugiant pas dans le silence et la fuite. Cela doit être rappelé sur un ton solennel mais le sermon n’est pas entendu puisque rien ne change. Ne pas avoir compris que le médecin n'a pas seulement la mission de poser un diagnostic et d'établir un protocole de traitement mais qu'il doit être aussi attentif a la souffrance morale que provoque la maladie, à l'angoisse qui naît du séjour dans un milieu aussi étranger qu'un hôpital montre combien la rétention des sentiments a perverti la conscience de beaucoup de médecins. Ne pas expliquer un geste souvent douloureux, ne pas dire ce que l'on attend d'un traitement, ne pas prévenir qu'il peut provoquer des effets secondaires pénibles afin de les dédramatiser, cacher à la famille, au patient le risque d'un traitement, d'une opération, ne pas préparer à la mort qui arrive sont autant de façons de fuir une responsabilité, d'éviter d'argumenter une décision, de ne pas respecter le malade et se contenter de faire signer une décharge. Il s'agit là, d'une attitude typique de l'adolescent, plus facilement péremptoire que réfléchi, simplement parce qu'il n'a pas d'expérience et n'a pas suffisamment agi pour connaître le résultat de ces actes. Mais le médecin a, lui, une responsabilité qui engage la vie ou la mort et son silence ou sa parole assombrit ou éclaircit le moral d'un être victime de la maladie. Se comporter en seigneur indifférent est donc une injustice intolérable car la victime n'a pas la capacité physique et psychologique d'exiger ce à quoi elle a droit. Il s'agit d'un refus méprisant que l'on connaît bien chez l'adolescent en crise qui se réfugie dans le silence plutôt que répondre à une question embarrassante ou dont il ne connaît pas la réponse.
 
On connaissait cette façon d'agir mais les adjurations ordinales font craindre qu'il ne s'agisse d'une contagion qui déshumanise encore un peu plus une médecine livrée aux machines et aux techniciens.
 
Le drame du sang contaminé par le virus du sida a été une autre illustration caricaturale. Des médecins spécialistes, titrés, ayant acquis de hautes responsabilités et qui, confrontés à une situation ambiguë, périlleuse, n'ont pas su choisir, Ils ont préféré tergiverser, attendre que d'autres se décident à prendre des décisions plutôt que de s’engager personnellement, clairement et cela pour des raisons hiérarchiques, mesquines, mercenaires sans prendre en compte le risque vital qu'ils faisaient prendre à des enfants qui les honoraient de leur confiance. Depuis, d’autres scandales sanitaires ont prouvé que le comportement irresponsable est structurel et que l’expérience n’apporte aucune sagesse à ceux qui devraient en être imprégnés.
 
La encore, on se trouve en face de personnalités immatures, n'ayant pas compris, même à des âges avancés, où était le bien et le mal. Cette absence de discernement, cette fuite dans l'argutie sont des signes que l'on s'attend à trouver chez un jeune n'ayant pas encore acquis un système de valeurs solides, ne pouvant s'appuyer sur des exemples tirés de ses lectures ou de l'exemple de ses aînés et où se forger une morale qui permet de régler sa vie honorablement.
 
Ces barons de la médecine semblent avoir eu une ligne de conduite centrée sur la course au pouvoir et à l'argent. Il s'agit de leurres que l'on comprend chez un jeune dont les références privilégient la forme au détriment du fond.
 
Cette course ne peut être gagnée que par les plus véloces qui sont nécessairement les plus féroces. Même acculés, on a ainsi vu qu'ils conservaient leur morgue et n'avouaient pas leur irresponsabilité. D'autres milieux souffrent de la même tare.
 

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