Ou l’origine des malheurs du monde
CHAPITRE XII
LA GUERRE
L'agressivité trouve sa quintessence dans les guerres.
Elle atteint, actuellement, l’un de ses paroxysmes puisqu'une multitude de
conflits ensanglante le monde et l'on en devine beaucoup d'autres, prêts à dégénérer .
L'agressivité a surgi dans l'adolescence
avec la
force physique et les armes
psychologiques et intellectuelles qui sont nécessaires à son expression. L'adolescent
discute, argumente, conteste les
idées reçues et l'ordre établi. Il assure, de la même
façon, sa place dans la société par un engagement actif et une émulation qui le pousse à devancer les concurrents. Il s'agit à ce stade d'une
programmation normale, indispensable. Mais, comme la
responsabilité
peut ne pas être ressentie comme une valeur, l’agressivité peut être détournée
de son objet et dégénérer en une hostilité qui va contaminer la société. Hitler
avait profité de cette disponibilité pour entraîner tout un peuple dans sa
folie guerrière. Ses émules sont à l’œuvre partout, jouant sur les mêmes
ressorts.
La foule
commence par défiler, réclamer avant de se battre. Chaque protestataire partage la
conviction de tous les autres. L'ennemi commun est désigné comme animé des plus noires intentions. Le consensus est
toujours de mise dans ces crises nationalistes. Le sentiment de haine infecte
chaque composante du corps social. Il n'est pas une nouveauté. Il a été ressenti par l'individu, isolé contre ceux qui, dans son adolescence,
s'opposaient à lui. L'isolement, la dépendance n'existent plus. Sa pulsion de haine
pour l'ethnie honnie ou ceux qui ne partagent pas la même foi est portée et partagée par tous. Les autorités soutiennent sa révolte. Elle s'extériorise sans entrave. Sa logique admet que le
sang puisse couler. Les autres, ceux contre qui la foule s’insurge, sont dans
la situation de ceux qui n'ont pas la même opinion, selon un scénario déjà rencontré. Chacun puise dans son passé des raisons à sa détermination et, pour certains, y voit une
occasion de revanche.
Le
conflit entre deux états dont l'histoire donne tant
d'exemples et celui ,- hier des pays coloniaux refusant l'indépendance à leurs colonies renvoie directement à une situation de l'adolescence et à une attitude parentale intransigeante ou despotique. L'habitude
d'imposer sa volonté sans discuter, d'être obéi sans réticence a fait croire au dominant qu'il en sera
toujours ainsi. L'évolution aidant, l'autre prend conscience de son identité, de sa valeur, de sa puissance, de son bon
droit et remet en question l'opportunité de la sujétion. Le rejet, la révolte secouaient la prépondérance paternelle. En d'autres lieux, la
conscience nationaliste réunit des milliers de citoyens opprimés, mobilise des hommes et des femmes déterminés à n'être plus des vassaux et à combattre la puissance étrangère qui veut dicter leur destinée. La force de cette conviction est irrésistible.
Le
blocage de la tutelle sur ses positions et ses avantages acquis traduit l'incapacité de se mettre a la place de l'autre, caractéristique de la rétention des sentiments.
La lutte
de beaucoup de minorités contre un pouvoir central qu'elles rejettent peut être vue sous le même éclairage. Nous pourrions ainsi considérer le Sentier lumineux au Pérou, l'IRA contre le Royaume Uni, l'E.T.A.
militaire contre l'État Espagnol, les indépendantistes corses contre l'État Français, les communistes aux Philippines et, aujourd’hui, les kurdes,
les touaregs, les palestiniens, les sunnites. Le groupe minoritaire est en
guerre contre une autre fraction dont il veut s'exclure. Ses requêtes, ses mobiles, ses motifs, les moyens qu'il emploie sont assez
radicaux pour être inacceptables par le gouvernement en place. Le dialogue rendu
impossible par les prétentions des partisans ne permet pas de rétablir une
paix et d'envisager une solution acceptable et négociée. L'outrance de l'un, renforce la détermination de l'autre. La méfiance réciproque ne fait que croître au fil des attentats. Cela fait penser à une famille où un adolescent exaspéré de ne pouvoir satisfaire ses envies accuse son père smicard de lui refuser l'argent de poche dont il clame le
besoin. Le père a certainement eu tort de n'être pas un capitaine d’industrie mais la demande est déraisonnable par rapport aux possibilités et
ne peut être satisfaite. L’insatisfaction du fils est outrancière. La réaction paternelle, même excessive, paraît normale. La colère du fils en sera fortifiée. La concorde n'est pas près de
s'installer dans la maison.
LA PAUVRETÉ, LE CHÔMAGE
La
guerre, l’animosité politique ne sont pas les seules occasions où la constipation des sentiments, le mépris, indifférence sont aux commandes du corps social. La vie de la
cité subit le même empoisonnement. Sa dégradation paraît avoir été voulue par l'urbanisme qui a prévalu durant des décennies. Il a défiguré les banlieues par des monstruosités de béton où l'en a entassé les populations ouvrières.
Cette
sarcellisation a été planifiée et conçue par des politiques, des architectes qui, eux, vivent dans le
luxe, le calme, l'espace. Ils ne supporteraient pas la promiscuité, le bruit, les odeurs, l’éloignement que leurs décisions ont imposés à des milliers de travailleurs.
Une nouvelle
dégradation du milieu a été provoquée par la montée des nouveaux pauvres, la clochardisation des déshérités venus du chômage.
La cause
princeps de toutes ces situations de détresse est l'indifférence.
Elle
frappe l’immense cohorte de tous les nouveaux pauvres. Victimes des
restructurations, trop âgés pour apprendre un métier, trop jeunes pour être qualifiés, ils se retrouvent exclus d'une société oui méprise leur force de travail et leur besoin de
dignité. Ils assiègent les restaurants du cœur. Beaucoup se
clochardisent, ayant cessé la lutte.
Leurs
contemporains plus chanceux prospèrent à côté de leur misère. La solidarité se limite à la charité de l'aumône. Partager le travail pour que chacun en ait
sa part serait une solution facile a appliquer et qui ne coûterait qu'une fraction minime des revenus. Elle renforcerait la
cohésion du corps social et justifierait la devise de la République. La possibilité d'un tel geste est refusée par presque tous, un seul syndicat s'est dit intéressé par une telle solution. Les autres la rejettent farouchement.
Ces
abandonnés relèvent de l'assistance. Leur sort, c'est-à-dire le pain et le toit
quotidiens, dépend de la bonne volonté de ceux-là mêmes dont la sagesse à la conduite des affaires publiques, la clairvoyance dans les
choix économiques, budgétaires, les ont placés la où ils sont. Ces responsables ne se déjugent pas facilement. La situation des pauvres
ne peut aller qu’en s’aggravant.
D'autres
occasions surgissent en permanence pour susciter une agressivité sourde. Cela se passe au guichet, des administrations privées ou d'État si un quidam quémande un instant d'attention à un moment
inopportun. Toutes ces situations relèvent du même schéma. Il y a d'un côte un individu en position d’infériorité (le clochard, le prisonnier, le demandeur de renseignements); de l'autre côté, parfois en face mais souvent invisible, dans un bureau au cœur d'un édifice à la mesure de sa responsabilité, un autre individu. Sa fonction l'a investi d'un pouvoir, peut-être représentatif.
La rue,
le hall d'une gare, la révolte dans les prisons démontrent, de façon permanente, que les murmures des uns, les
cris des autres, ne parviennent ni à son cœur ni à son cerveau. Ils ne font pas fléchir une règle. Le bruit génère parfois un geste, un discours, une
commission, une nomination.
L'attention détournée, le cours normal de l'indifférence apaise le remous épuise le reste d’énergie de la protestation. L'aveuglement, la surdité ne frappent pas que le guichetier, le nanti, le politique. Personne ne peut prétendre échapper au reproche. Chacun est coupable de la même indifférence. Les boucs émissaires sont utiles} à la démonstration. Le simple choix de ce métier et leur acharnement à parvenir là où ils sont, supposent une vocation et il paraît normal de leur tenir grief de ne pas appliquer la même ardeur au service de ceux qui justifient leur présence ou qui les ont élus.
Une
dernière fois nous ferons référence à l'adolescent pour tenter de trouver une raison à ce constat désolant d'une société indifférente à la misère d'une fraction importante des siens bien que disposant des ressources pour y
pourvoir.
L'adolescent
a été lui aussi un être exigeant, dépensier et qui n'avait pas les moyens de ses besoins. Sa demande était plus ou moins satisfaite par la puissance parentale. Elle était la source de l'argent, de l'expérience, de la sagesse, dans les meilleurs cas.
Souvent, la réponse était un refus, car l'exigence pouvait dépasser les possibilités de la famille.
Le pauvre, le chômeur, le prévenu, etc. prendra la place de l’adolescent.
Sa demande est la même. Il veut
obtenir du pouvoir la reconnaissance de sa détresse et les moyens de la
supprimer. Les hommes, les femmes qui sont en situation de dominants sont donc
sommés de comprendre, d’accepter et de décider les mesures adéquates.
Il leur faudrait
faire un retour à leur propre vécu d’adolescents, à l’époque des frustrations
et des vexations et décider si leurs
parents avaient tort ou raison. Cette analyse est déplaisante, malaisée. Elle réveille trop de mauvais souvenirs.
Il est plus facile de l’ignorer eu de préférer le rôle tutélaire de père sévère mais
juste qui ne sacrifie pas son autorité aux demandes fantaisistes d'un
irresponsable trop immature pour être capable de vivre en adulte. Il ne faut pas l’habituer à la facilité d'une assistance sans contrepartie :
de l’argent, mais s'il travaille, un logement décent, mais s'il est sage, un repas, mais qu'il cesse de boire, un
sourire, mais qu’il attende que je sois prêt m’occuper de lui, etc.
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