Le lendemain, notre voyageur bien réveillé reprit le fil de
son récit.
« J’avais lu trop
de témoignages pour être surpris de me
retrouver dans un décor conforme aux canons saint-sulpiciens : l’herbe
était verte, les arbres splendides, les fleurs à foison, les oiseaux
gazouillaient, les brebis bêlaient, les loups n’étaient pas affamés, les lions
déambulaient, surveillant leurs lionceaux et leurs lionnes, très pacifiques. Et
il’y avait des hommes et des femmes joyeux, détendus, paraissant heureux et qui
devisaient, peu pressés mais très intéressés par ce qu’ils voyaient,
entendaient, racontaient.
Manifestement ils
n’avaient pas de TER, de bus, de métro, de RER, de courses, de rendez-vous dans
leurs agendas du moment. Ils m’interpellaient, me demandant d’où je venais, qui
j’étais. Moi, je cherchais ceux qui me manquaient et à qui je manquais. Ils m’attendaient,
prévenus je ne sais comment. Ce fut très agréable. Plus tard, j’assistai à une
cérémonie. Elle avait lieu tous les jours de là-bas. C’était la minute aux
vivants . Un instant consacré au recueillement et au souvenir de ceux qui
avaient encore à endurer leur vie et l’occasion d’évoquer tout ce qu’ils
avaient supporté avant d’en finir. Cela avait débuté dès la délivrance et
l’arrivée dans le froid, la faim, le bruit et, ensuite, la varicelle, la
rougeole, l’appendicite, la maternelle, l’école, le lycée, les brimades, les
examens, les concours, le travail, le chômage les accidents, les médecins, les
hôpitaux, les guerres, les explosions, les morsures, les fractures, l’arthrose,
le cancer, l’arthrite, l’artérite, les voleurs, les assassins, les politiciens,
les douleurs, les névroses, la dépression, la maison de retraite, la solitude
et l’interminable décrépitude. Il a fallu subir tout ça pour mériter enfin la tranquillité,
la santé, la sagesse, la connaissance, le repos. Voilà ce qu’ils fêtent pour ne
pas oublier d’où ils viennent.
Comment ne pas envier
ce qu’ils étaient et réfuter ce qu’ils disaient. C’était le moment de choisir
entre rester ou revenir dans mon corps qui reposait dans une clinique près de
Lausanne. Moi qui avais eu une enfance heureuse, des parents aimants,qui vivait
dans un pays pacifique, à la neutralité bienveillante, qui jouissait d’une
bonne santé et de revenus confortables acquis sans fatigue excessive, je ne trouvais
pas mon sort terrestre très pénible et pensais pouvoir en épuiser encore
quelques attraits qui pouvaient ne pas figurer dans l’éden qu’on me présentait.
Je ne connaissais pas l’envers de ce décor et n’était pas pressé de le voir.Je
déclinai la proposition et, après avoir dit au revoir à l’aimable compagnie, je
refaisais le voyage à rebours et sortais du pays des rêves pour un lit d’éveil
dans la chambre 10 de ma clinique vaudoise.
Voilà chers amis, un
résumé de mon E.M.I. Je ne sais toujours pas s’il s’agit d’un voyage purement onirique
avec une densité presque organique ou réellement le transfert dans une réalité
qui appartient au monde post-mortem. Est-ce un mirage de la chimie ou l’au-delà
miraculeux qui certains promettent à leurs ouailles pour qu’ils les croient ?
J’ai presque eu la
réponse à ma question quand, avant de partir, un des anesthésistes me prit à
part et me glissa:
-
" vous avez fait une excursion au paradis
mais, pour les âmes bien trempées, ceux qui n’ont peur de rien, je peux les envoyer en enfer aussi bien : celui des cauchemars de Dante. C’est une
plongée dans l’horreur qui vaut, paraît- il, le déplacement. C’est
simple: on remplace les tranquillisants, les euphorisants les anxiolytiques par des
antagonistes et on diminue les taux de
sérotonine, dopamine, du Gaba, au lieu de favoriser mister Love , on magnifie
docteur Jerry. On vous récupère de la même façon , on régularise tout pour que
votre humeur redevienne bonne au réveil et que vous gardiez seulement le souvenir
de votre descente".
Téméraire, mais pas
con, j‘ai dit non.. Les mauvais souvenirs, j’en ai déjà mon compte »
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