Situation
Sur le trottoir d’un grand boulevard, un flâneur déambule,
peu pressé, quand il est abordé par un individu bien mis, l’air prospère avec
une inquiétude dans le regard et qui l’apostrophe par un :
-
« Je
vous demande pardon ».
Serviable, l’autre s’arrête, attend la suite, une demande de
renseignements sans doute, mais il se contente de répéter
:
-
« Je
vous demande pardon ».
Amusé, mais aussi interloqué , l’interpellé répond :
-
« Mais
de quoi ? Je ne vous connais pas et je ne crois pas avoir à vous pardonner
quelque chose ».
-
« Oh
que si ! je vous demande pardon pour ce que vous savez ».
-
« Je
suis prêt à vous pardonner tout ce que vous voulez, mais moi , je ne sais pas de
quoi ».
-
« C’est
de la mauvaise volonté ou de l’amnésie. J’insiste,
réfléchissez. Ce n’est pas pour le plaisir que je vous demande pardon. En
refusant, vous ajoutez à ma gêne
-
« Je
ne peux pas vous pardonner quelque chose qui n’existe pas. J’ai beau chercher. Votre tête ne me dit
rien. Je ne vous ai jamais vu. Vous êtes un parfait inconnu ».
-
« Vous
croyez que je passe mon temps à aborder des inconnus dans la rue et à leur
demander pardon ? Vous croyez
que cela m’amuse, que je n’ai que cela à faire, que je ne travaille pas ?
En refusant de me pardonner, vous me faites perdre du temps et je vais être en
retard à un rendez-vous,un rendez-vous important. crucial même ».
-
« Oh là
là, c’est à moi que vous faites perdre du temps avec votre prétention à vous faire pardonner, une offense peut-être ?
Je vous aurais offensé, c’est ça, mais où ? quand ? comment ? ».
-
« Ah, enfin on y arrive. La mémoire vous
revient. Je ne suis plus aussi inconnu que vous le prétendiez il y a cinq
minutes ».
-
« Bien
sûr, je commence à vous connaître, à en savoir même beaucoup. D’abord vous avez
quelque chose à vous faire pardonner. Ensuite c’est moi qui devrais vous rendre
ce service car ,apparemment, vous avez eu affaire avec moi. Tertio, vous avez de
la suite dans les idées. Quarto , vous n’êtes pas du genre à vouloir garder un
poids sur la conscience, vous devez avoir fréquenté un collège catholique et en
avez gardé quelques souvenirs. Vous avez aussi un rencard que vous allez rater
si vous continuez à perdre du temps à me faire la conversation ».
-
« Pour
quelqu’un qui ne me connaît pas, vous en savez sur moi beaucoup plus que j’en
sais sur vous. Vous avez mené une enquête de proximité ? vous travaillez aux
R.G. ou à ce qui les remplace ? Et vous prétendez toujours ne pas savoir pourquoi
je vous demande pardon ? Ce serait la seule chose que vous ne sachiez pas
de moi ? ».
-
« Mais
enfin, tout ce que je sais, c’est vous qui me l’avez appris. J’ai oublié que
vous étiez aussi de mauvaise foi, ce qui pour un catho fait désordre et votre
façon de m’interpeler en plein boulevard, votre insistance, votre obstination
maniaque, obsessionnelle même à me demander pardon, tout ça fait de vous un
original peu banal ».
-
« Moi,
de vous, je ne sais qu’une chose. C’est que vous devez me pardonner. Ça ne
devrait pas être difficile pour quelqu’un qui connaît tout de moi, plus que n’en
sait mon psychanalyste ; Mais vous êtes impitoyable. Je le savais déjà. Je
n’ai rien à attendre d’un être plein de rancune, de rancœur avec un esprit de
vengeance. Vous voulez m’humilier, que je vous demande pardon à genoux, que je
vous supplie. Qu’est-ce que vous voulez de plus pour que j’obtienne votre
pardon ? ».
-
« Finissons-en.
Arrêtez de crier, de pleurer. Tout le monde nous regarde. Redressez-vous,
reprenez votre calme. C’est entendu, j’ai compris, vous avez raison. Il est
temps d’oublier, de passer l’éponge, de repartir à zéro, l’âme tranquille. Je
vous pardonne bien volontiers, sans arrière-pensée. Je ne vous en veux pas. Ce
n’était qu’une peccadille, les torts étaient partagés, vous avez eu le mauvais
rôle. Vous pouvez partir en paix ».
Et chacun poursuivit son chemin, l’un satisfait d'être pardonné et pressé d’arriver à son
rendez-vous, l’autre méditatif, se demandant ce qu'il avait bien pu pardonner.
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