Avant
de commencer votre campagne de vœux, vous avez intérêt à écouter ce que
j’ai à en redire. Vous vous épargnerez une corvée pénible, économiserez un
temps et un argent précieux. Vous les dépenserez à votre profit pour faire ce
que vous auriez dû faire hier et acheter l’objet inutile dont vous avez
tellement envie.
Les vœux sont à la prière ce que la crème pâtissière
est à la crème anglaise. Des pointilleux relèveront des petites différences
dont ils feront des Monts Blancs. Ils argueront qu’entre une cartomancienne qui
sait voir le dessous des cartes et une carmélite confite en dévotion et
martyrisant ses genoux il n’y a pas photo. Ils ont raison et je ne confonds pas
la sainte foi de l’une et la folle conviction de l’autre.
Il convient, d’abord, de prendre du recul et de
remonter aux premières années de notre ère. Ne confondez pas avec le
quaternaire où nous serions toujours mais avec l’ère chrétienne. À la suite des
premiers chrétiens dont il avait repris les prétentions, Charlemagne décréta
que notre calendrier avait débuté 800 ans auparavant, quand le Christ était né.
La date exacte reste, en réalité, inconnue car la fiche d’état civil a été
perdue lors de la fuite en Égypte.
La période des vœux remonte donc à 2000 et quelques ans,
celle des prières débutera 3 décennies plus tard, peu de temps après la
remontée au ciel du fils de Dieu. Il n’y a pas de doute sur le jour, le fait
est abondamment décrit dans plusieurs évangiles, du moins ceux qui, ayant reçu
l’imprimatur, sont dignes de foi.
Les vœux sont plus saisonniers que la prière. Ils
subissent une recrudescence en fin d’année et culmineront à l’arrivée de la
nouvelle année. Vous remarquerez que, quelque soit le millésime on parle
toujours de vœux de l’an neuf. La prière est, elle, une occupation quotidienne
pour ceux qui s’y adonnent avec régularité. Elle a des pics d’activité lors des
offices dominicaux. La prière du soir, autrefois très prisé, surtout dans les
campagnes, à l’heure de l’Angélus, est en déclin et c’est bien dommage. J’en
garde la nostalgie car elle donnait une impression de paix, de recueillement.
Le silence rompu seulement par le son de la cloche, contraste horriblement avec
le bruit et la fureur qui agitent maintenant le monde paysan.
La prière peut plier le genou mais n’a pas rendu
l’arme. Elle continue, cachée, dans des lieux retirés, apanage de reclus dont
nous reparlerons.
Si le vœu et la prière ont eu un destin commun dans
leur jeune âge, il devint croisé par la suite et leur chemin bifurqua quand
arriva la séparation de l’église et de l’état (1905). La prière avait déjà
souffert d’attaques répétées lors de la révolution de 1789 où elle avait été
mise hors la loi. L’éclipse avait été de courte durée. On peut même dire que,
dans le secret des cœurs, sa flamme était restée ardente surtout en Charente
maritime et dans les pays de Loire et de Vilaine.
Vœux et prières changèrent de statut. Le vœu devint
laïc et ses grands prêtres, des ministres d’état, entrèrent au
gouvernement ; la prière resta une affaire purement religieuse et ses
mandataires se firent appeler ministres du culte.
Je ne ferai, comme vous, aucun commentaire sur ce
schisme pour ne pas être l’allumette qui mettrait le feu à la poudre d’une
nouvelle guerre de religion. La guerre civile rampante qui rode aux portes de
Paris me suffit. Avec mon franc parler, ma rude franchise, et mon culot
monstre, je vais enfin dire ce que j’avais à dire : la prière, comme le
vœu, est un pieux mensonge, une demande hypocrite, une lettre sans accusé, une
promesse en l’air, enfin une baliverne proférée par des acteurs qui débitent un
texte avec conviction comme au théâtre de la Gare, avec componction, comme à la
Comédie Française, mais toujours dans un rôle de composition.
Pourquoi haïr ces gentils mots qui font plaisir à dire
et à entendre ? Me direz-vous, scandalisé. Mais parce que mon dossier à
charge est rempli à ras bord.
Depuis l’an 30, combien de milliards de « Je vous salue Marie », de
« Notre Père qui êtes au ciel » sont montées vers les nuages, de
kilomètres en années-lumière de chapelets en rosaire ont été parcourus, de
chants grégoriens, de messes en fa, sol, la, si do, de « cantique des
cantiques », de « petit papa Noël » ont été exécutés, chantés,
fredonnés, et tout ça, pour quel résultat ?
Mais le même que celui des milliards de milliards de
cartes de vœux échangées et des billions de souhaits en tous genres, de toutes
espèces pour la paix, la prospérité et, surtout, la santé.
Le bilan de cette flopée de prières, de vœux vous le
connaissez aussi bien que moi, si vous vous donnez la peine d’ouvrir vos yeux
et vos oreilles. Il est navrant, il est nul, il est désespérant !
Depuis toujours, ce ne sont que guerres, dans la
famille, dans les rues, dans les cités, entre clans, entre tribus, entre états,
entre nations et les plus fous se préparent à la faire aux étoiles.
La prospérité, parlez-en aux nouveaux pauvres, aux
morts de faim, aux expulsés, aux migrants, aux victimes des faillites, des
banqueroutes, des krachs, des escrocs, etc.
La santé surtout, ne s’arrange pas. On meurt plus
tard, mais dans quel état ! et elle nourrit les déficits, les hôpitaux,
les centres anticancéreux, les cliniques psychiatriques, les laboratoires de
chimie, de recherche et qui ne trouvent rien sauf des crèmes antirides. La mortalité
infantile n’arrive pas à baisser, l’hécatombe routière se poursuit, les cancers
sont toujours plus nombreux, plus féroces, plus mortels.
Et toutes ces horreurs, tous ces malheurs qui
croissent et embellissent malgré tous les bons vœux et les belles prières, ça
vous pas fait douter ? Et si ça ne servait à rien, si on perdait son
temps ? Si c’était un cache-misère, une occupation hypocrite pour s’éviter
de réfléchir et de s’attaquer aux choses sérieuses ?
Vous lâchez pas prise, vous y tenez, à votre carte postale
et à votre petite prière. Vous me forcez à continuer.
Je préfère le vœu à la prière. Il est plus sincère,
car moins intéressé, moins servile, moins égoïste, moins hypocrite. On offre
des vœux par générosité, pour faire plaisir en espérant que le mauvais sort
sera conjuré et notre ami enfin heureux, au moins pour un an.
La prière a d’autres buts et sa prétention vise un
autre destin, celui du prieur. Il dresse son homélie à une entité supérieure en
qui il a mis tous ses espoirs pour que la suite à venir soit digne de son
appétit et à la hauteur de sa peur. Il conjure son mauvais sort en faisant
semblant de prier pour celui du voisin. Je ne parle pas des croyants qui vont
au charbon et affrontent la misère en première ligne mais de ceux qui s’abîment
les rotules sur le mode continu (Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et
Complies), dans des espaces bien clos, derrière des murs épais, loin des
distractions, bien concentrés dans leur adoration d’un Dieu inconnu,
inaccessible mais qui peut certainement beaucoup, après tout ce qu’on lui
prête. Il faut se faire pardonner d’être né, c’est un péché qu’il faut expier.
Ils prient donc, d’arrache-pied et, en louant le responsable de tous les
malheurs, ils espèrent bien s’en faire dispenser quand le jour viendra.
Seul le hasard rend la prière et le vœu gagnants.
Cela arrive de temps en temps. Le gros lot du Loto se rappelait avoir
pensé, au moment de marquer les bons numéros : « Mon Dieu, faites que
je gagne ».
Ce n’était pas un miracle mais son jour de chance.
Pourquoi cette obstination à faire des vœux et à prier
en vain ?
L’explication oblige à aller taquiner la sociologie et
la physiologie. Le détour est plaisant.
La prière a beaucoup occupé ceux qui planchent sur les
reliquats modernes des incantations premières et des superstitions primitives.
Ils en ont retrouvé la trace dans les hiéroglyphes égyptiens mais aussi dans
des cavernes inaccessibles de la jungle de la Papouasie du Nord sous la forme
de peintures rupestres de la fin du tertiaire, dans l’ivoire d’une dent de
phoque géant (96 cm de tour de taille) trouvé dans un igloo daté de 3 millions
d’années avant J.-C. et parfaitement conservée au sein d’un glacier géant du
quadrant supérieur droit du cercle polaire. Le propos montre l’universalité du
genre humain, sa propension, quelle que soit la latitude mais aussi la
longitude à supplier le grand Pan et à essayer d’infléchir sa divinité
supposée afin de lui demander de faire le travail à sa place et de forcer les
choses dans un sens favorable : faire tomber la pluie quand le sol se
dessèche, arrêter le feu quand l’incendie perd le contrôle des flammes, stopper
la peste avant que la mort s’ensuive, arrêter les fourmis quand la Marumba
gronde, enfin chaque fois que l’homme - souvent
poussé par sa femme - a, la peur au ventre, la mort aux trousses.
Les physiologistes s’y sont intéressés un instant
quand ils ont étudié les réflexes archaïques. Présents à la naissance, ce sont
eux qui font fermer les menottes du nourrisson quand on lui chatouille la paume
ou se mettre à téter goulûment quand le téton s’approche de ses lèvres. Ils
disparaissent en temps utile quand le besoin est passé. Leur persistance
au-delà des normes imparties est considérée comme un retard du développement
mental augurant d’une scolarité difficile à conclure par les félicitations du
jury. N’ayant rien à en dire, ils s’en sont vite détournés, ayant mieux à
faire.
Si ce problème vous passionne vous trouverez
facilement les renseignements complémentaires en cherchant bien.
Personnellement le sujet ne m’intéressant pas plus que ça, je me suis contenté
du peu que j’en savais pour vous en faire profiter. De la même façon je n’ai
pas été voir dans les mondes parallèles qui peuplent notre planète quels étaient
leurs us et coutumes vis-à-vis des vœux et des prières. Je trouve les voyages
lointains trop fatigants, les prix en classe économique trop élevés, les
navettes spatiales trop inconfortables pour aller s’ennuyer à essayer de
comprendre des langues pas faciles à apprendre etc. Je ne connais pas l’ordre
de leurs priorités, quelles sont leurs divinités, s’ils recherchent le bonheur
sur la terre ou au ciel. Et pour être franc et tout à fait cynique, j’ai autre
chose à faire, notamment en finir avant la fin de l’année avec ce pensum qui
n’en finit pas et commence à m’énerver.
Vous avez compris que je milite pour qu’on en finisse
avec les vœux habituels ou du moins avec leur formulation courante. Je serai
plus réservé quant à la conduite à tenir avec la prière. Il semblerait, à en
croire la fréquentation des églises et de la Sainte Chapelle, qu’elle vit ses
derniers moments. A force de prier dans le vide, les cloîtres se dépeuplent et
leurs cellules se transforment à un rythme de plus en plus soutenu en chambres
d’hôte. La prière se fait rare parce que les découvertes récentes auraient
montré que l’histoire qui racontait que Dieu aurait fait un voyage sur la terre
en se faisant passer pour son fils serait, en fait, une légende rurale.
Finalement toutes les prières auraient été dites pour rien ? J’attends
cependant une confirmation du Vatican. Dans le doute, je me limiterais aux vœux
et vous propose un changement de stratégie afin que les vœux cessent d’être
creux, l’expression d’un conformisme, une habitude, une hypocrisie et, comme je
l’ai peut-être déjà dit, que l’évidence balaie l’apparence.
Comment ? Comment ? Criez-vous. Simple. Il
faut arrêter d’envoyer des vœux à Pierre, Paul et à ses sœurs et concentrer le
feu de l’action sur l’année elle-même, la responsable de tout. Voyez l’année
qui va finir. Tous les quotas de guerres, de crises, de faillites, d’attentats,
de morts, de coups d’état, d’épidémies de faim, de choléra, d’incendies,
d’inondations, de tremblements de terre, de chômage brut et technique, de
hausses de prix, de baisses d’activité, d’inflation, de stagnation, de déflation
et, maintenant, de récession ont été pulvérisés. Et ceci malgré des vœux qui,
fin 2012, nous avaient promis une année heureuse, prospère avec un beau soleil
mais avec ce qu’il fallait de pluie, de travail, de chance et, surtout, la
santé. Donc on change tout, on laisse tomber les vœux privés et on s’adresse
directement au responsable, à qui organise la chienlit générale et nous conduit
au chaos, à la ruine, au naufrage, à la grande débâcle. L’année à venir doit
être consciente de ce qu’elle fait afin d’abandonner les mauvaises habitudes
prises depuis si longtemps, rappelez-vous Hiroshima, 39 et avant, 17, 1870, la
guerre de 100 ans, le Moyen-âge, les sept plaies d’Égypte, l’agonie des
dinosaures, etc. Toutes ces années qui nous en ont fait baver, qui ont accumulé
les catastrophes et qu’il a fallu passer l’échine tremblante, dans la boue, le
froid, le désespoir, la mort. Combien d’années terribles depuis le début ?
Toutes. Aucune belle époque ne l’a été.
Que lui dire ?
D’abord la remercier d’être fidèle au rendez-vous et
de ne pas se laisser décourager par la mauvaise qualité des évènements de
l’année qui s’achève. Le procès permanent qu’elle subit doit être pénible
à vivre mais, sa responsabilité était engagée puisqu’elle leur offre l’hospitalité.
Elle doit admettre que ceux qui en souffrent sont en droit de s’en offusquer.
Bénéficiant de la loi d’amnistie traditionnelle on l’oubliera pour se
concentrer sur l’année à venir afin de ne pas disperser les forces. 2014 doit
travailler à améliorer ses performances et réussir là où les précédentes ont
échoué. Il lui suffira de suivre mes recommandations :
1. Elle doit retrouver une
dignité et arrêter de subir des mauvaises influences. Le passé doit être oublié
afin qu’elle ne cherche pas à l’imiter, ce qu’elle fait depuis trop longtemps.
Elle ne doit pas regarder en arrière mais se concentrer sur ce qui va arriver
afin d’essayer de l’améliorer. Pour cela, elle doit fermement s’engager à
arrêter d’avoir des fréquentations douteuses et ne sortir qu’avec de la qualité
éprouvée. Ne rien acheter à la sauvette, prendre des garanties, privilégier les
marques connues et la qualité supérieure.
2. Elle doit aussi ne pas
croire tout ce que les orateurs, même très bons, prétendent. Apprendre à
discerner le vrai du faux, les diseurs de vérité de ceux de mauvaise aventure.
3. Elle doit discipliner
son climat et arrêter d’augmenter la température de l’eau et de l’air. Cela
donne soif, dessèche la peau et fait trop marcher les climatiseurs avec les
risques que cela comporte pour les ours blancs et les phoques qui ne savent
plus où se mettre.
4. Elle doit normaliser
sa pression afin d’éviter les excès qui favorisent la stagnation du ciel bleu,
une mer d’huile, suppriment le vent et même les courants d’air. Cela entraîne
une pollution qui oblige à marcher à pied. De la même façon, les basses
pressions seront à éliminer en raison des tempêtes tropicales, des cyclones et
autres ouragans qui font beaucoup de dégâts un peu partout.
5. 2014 devra réfléchir
avant d’agir, en choisissant, par exemple :
·
des
endroits inhabités pour faire tomber la foudre ;
·
de
faire trembler la lune plutôt que la terre ;
·
de
faire pleuvoir là où la nappe phréatique a besoin de remonter ;
·
de
déclencher des épidémies dans les armées en campagne, plutôt que dans des camps
de réfugiés ;
·
d’être
enfin raisonnable, en se comportant en année responsable :
·
du
temps qu’il fait, avec du beau temps ;
·
du
temps qui passe, avec du bon temps ;
·
en ne
créant pas des conditions de vie difficiles ;
·
en
favorisant la solution des problèmes ;
·
en
retrouvant les chemins de la prospérité ;
·
en
autorisant une prise de conscience des responsables.
La santé doit rester prioritaire car elle permet de
bien profiter de la vie : jouer au tennis, faire de la pêche sous-marine,
visiter un musée ou s’éclater au hip-hop est difficile, voire impossible avec
une perfusion au pli du coude.
2014 doit être une année où rien ne sera à risque et
avertie qu’on attend beaucoup d’elle. Elle doit savoir qu’elle restera sous
surveillance armée, que tout incartade sera sévèrement réprimée et que sa
récompense, si elle a tenu ses promesses, satisfera son attente.
La carte type pourrait être de la sorte :
Chère année nouvelle,
Nous t’attendions avec
impatience. Tu es une année bienvenue qui, j’en suis sûr, nous changera de la précédente
qui a très mal fini pour n’avoir tenu aucun compte des avertissements.
Nous te demandons
d’être :
F lucide, réfléchie, transparente, généreuse, de bon
conseil, de bonne santé et de ne nous préparer aucune mauvaise surprise.
Moyennant quoi, je crois
pouvoir te parcourir en te laissant tranquille.
Respectueusement,
Un compagnon de route.
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