Mot horrible, à vomir, erreur à éviter. Le verbe obsède,
empoisonne et vous ruine la santé. Il impose une proximité de pensée avec
l’objet haïssable qui vous en fait la victime inconsciente. Choisissez
mieux : faites-vous haïr. La revanche devient alors une belle vengeance.
L’objectif est une opération de salubrité privée, une bonne
guerre personnelle, sans déclaration, un nettoyage haute pression devant sa
porte. Elle fait le vide par un coup de balai qui nettoie, aère,
débarrasse. Les faux amis, les relations douteuses, les connaissances superflues
n’y résistent pas.
La méthode a prouvé sa valeur. Je l’ai empruntée
au Quai d’Orsay quand, à une époque, j’en fréquentais les berges. Diplomatique,
insidieuse, indirecte, elle nécessite une bonne dose d’hypocrisie, valeur
sociale indispensable, dont vous n’êtes pas dépourvu si j’en crois votre
réussite éclatante.
Le discours doit sembler s’adresser à un vaste public témoin
de votre bonne foi, traiter d’un sujet particulier dont je vous parlerai plus
tard. Il sera amené, avec élégance et de loin pour ménager l’effet de surprise,
par un ou deux paragraphes empruntés aux bonnes pages de l’actualité du moment,
authentifiées par une signature faisant autorité. Pour préparer l’ambiance, si
votre interlocuteur est de droite, référez-vous à un éditorialiste du Monde et,
si de gauche, à une plume du Figaro.
Ainsi introduit le thème qui, vous le savez, ne fera pas
plaisir, vous enchaînez et dévidez votre pamphlet. Le moment est difficile car
si vous voulez être entendu, il faut que le ton reste celui de la conversation.
Plus ce que vous allez dire est énorme, inacceptable, plus vous devez l’énoncer
sans passion, comme si vous étiez vous-même indigné de ce que vous dégoisez.
Agissant de la sorte, vous êtes sûr d’interpeller ce quelqu’un au quelque part
qui va lui faire mal (je reprends l’expression favorite d’une qui m’aimait bien
avant de mieux me connaître).
Le message ne peut passer qu’à cette condition. Le travail
doit porter sur lui. Je le conseille (le ton) amusé mais pas moqueur. Ne tombez
pas dans le ricanement qui traduirait une perte de votre autocontrôle. Contentez-vous
d’un brin de malice gauloise qui s’épicera d’un zeste d’humour noir.
Le vif du sujet sera atteint et sa haine se mettra aux abois
si vous l’entreprenez dans son domaine de compétence. Votre thèse sera une
antithèse prenant le contre-pied de tout ce que vous savez de lui.
Pas d’improvisation, SVP, la préparation est sérieuse. La
haine que vous voulez susciter se doit de qualité et votre dossier bétonné.
L’argumentation qui va mettre en colère doit être irréfutable et ridiculiser
les vérités qui ont fait son ordinaire depuis son entrée dans sa malheureuse
carrière (enfin, malheureuse à partir d’aujourd’hui).
L’équation est simple : moins il pourra vous rétorquer,
plus sa haine gonflera.
A son départ vous saurez si votre petit stratagème a réussi en
observant la façon dont il passe la première (en cas de boîte automatique, la
vitesse de départ est un bon indice). Si vous avez gardé votre sang froid en
regardant sans rire celui de l’autre bouillir, vous êtes sûr d’avoir gagné
votre challenge. Le venin est en place, il fera son chemin et la haine qui va
grandir à votre égard vous récompensera de l’effort. Pendant qu’il se pourrira
la vie en pensant pis que mal de vous, vous pourrez vaquer, l’esprit libre, à
la préparation d’autres coups bas.
Les thèmes qui font toujours déplaisir sont faciles à trouver.
Pour vous aider, je propose que vous parliez :
-
des fuites de gaz à un gazier ;
-
des pannes de courant à un agent EDF ;
-
des avocats à un notaire ;
-
des notaires à un avocat ;
-
des erreurs médicales à un médecin :
-
de l’antipsychiatrie à un psychiatre ;
-
du sabordage de la flotte à Toulon à un officier
de la Royale ;
-
du casse-noisette à une noisette ;
-
du loulou de Poméranie à un berger
allemand ;
-
des maladies nosocomiales à un
hospitalier ;
-
du cancer du poumon à un fumeur;
-
des 4 roues à un motard ;
-
de la gendarmerie à un policier ;
-
de son anniversaire à une jolie dame.
Ces thèmes vous vaudront une haine ordinaire, bonne à
prendre mais qui n’a peut-être pas la grandeur de celle que vous recherchez.
Pour l’atteindre, il faut entrer dans une sphère supérieure qui suppose un
engagement plus risqué mais au résultat assuré. Vous devez endosser un rôle de
composition, celui du méchant, de l’antitout. Selon le cas, vous jouerez de
l’anticléricalisme viscéral, de l’anti-américanisme primaire, du philosophe
cynique, de l’anarchiste antimilitariste, de l’extrémiste politique. Enfin, de
tout ce qui peut vous rendre antipathique à tous ceux que vous auriez pu haïr
si vous n’étiez pas si bon, si charitable, si empathique à tous ceux qui vous
méritent bien.