L'ordinateur serait avec la bombe atomique les deux merveilles que nous aura léguées le vingtième siècle. Pour la bombe j'en suis certain. Elle est même révolutionnaire et comme toutes les révolutions, elle fera table rase du passé et de la terre, un jour. L'ordinateur aussi entre dans la légende, depuis qu'il est devenu plus intelligent que celui dont on va parler.
Le mien est pareil au vôtre, même s'il n'est pas de la même marque. Ils sont tous construits sur le même principe mais les performances varient beaucoup d'un modèle à l'autre. On n'en connaît pas les raisons: problèmes de qualité des produits de base, qualification des producteurs: formation, expérience, conscience professionnelle ?
Comme tous, le mien est mobile, portable même, à usage unique. J'en ai la jouissance exclusive tant qu'il marche. Rechargeable, recyclable, compatible avec le vôtre si l'on est sur la même longueur onde. Il n'est pas échangeable.
Attention, beaucoup de qualités, mais aussi des défauts: fragile, il supporte mal les chocs, les chutes, surtout de haut. Il est sensible aux virus et attrape facilement une méningite ou une encéphalite. Elles laissent des traces, même guéries avec un ralentissement des fonctions cognitives et des pertes de mémoire. C'est son point le plus faible. Avec le temps et même sans virus, elle perd de sa puissance et son intégrité. Encombrée de trop de souvenirs, elle n'arrive plus à stoker : l'information se volatilise à mesure. Pas de nettoyage possible, de défragmentation, pas de pièces de rechange Quand la mémoire vive est morte, elle ne revit pas.
Donc, notre ordi est à manier avec précaution, à ne pas encombrer de souvenirs importuns. Il faut l'entretenir, l'alimenter avec du courant de qualité alimentaire: pas d'OGM, d'excitants, de calmants qui risquent de l'endormir. Sensible à la surtension, il disjoncte facilement, le court circuit est irréparable. On s'aperçoit qu'il est bon à jeter quand il refuse de s'allumer.
En suis-je content? Non, car j'ai trop de reproches: puissance de calcul de l'ordre de la carence. Cette faiblesse m'a interdit d'entrer à Polytechnique. Second reproche, tout aussi grave: peu de mémoire disponible. Le manque est grave et ne pas se rappeler les Fables de La Fontaine, 70 ans après les avoir apprises, me paraît inexcusable. On peut mettre aussi à son discrédit son poids: il pèse sur la tête, compte tenu de sa position et provoque des douleurs cervicales, des migraines parfois ophtalmiques par contagion de proximité et d'autres inconvénients difficiles à supporter si en plus, on a du mal à digérer.
Modèle courant, qualité standard, je suis obligé de me contenter de ce que j'ai. Je ne lui demande pas plus qu'il ne peut et je m'en satisfais, bien obligé. On ne peut pas s'empêcher pourtant de jalouser ceux qui bénéficient d'un super-ordinateur avec une mémoire absolue qui n'oublie rien, une puissance de calcul digne d'un médaillé Field, la rapidité d'exécution d'un cuisinier japonais faisant seppuku à une sardine. Un Cray intelligent serait-il l'idéal? Pour un idiot certainement car, en réalité, ce n'est pas dans l'ordinateur qu'il faut chercher le bonheur, il ne dépend que de ce qu'on y met et ne doit rien à ce qu'il donne.
Certains sont si fiers de lui qu'ils lui ont donné une âme. Ils ne savent pas ce qu'elle est, le mystère lui donne encore plus de valeur et autorise toutes les extravagances. Elle serait le propre de l'homme, elle serait éternelle. Son siège est inconnu: au dessus, en dedans, à coté? C'est ce plus immatériel qui distinguerait notre ordinateur personnel de celui qui règne dans votre bureau et qui fait l'essentiel de votre travail, avouez-le. Discret, il se tait, il sait que sa durée de vie est programmée, qu'il sera oublié aussitôt jeté. Mais, quand il aura la parole, que nous dira-t-il? Ne voudra-t-il pas s'inventer une âme et nous apprendra-t-il que c'est le courant qui la transporte et son magnétisme qui parle en passant et, pas de rémanence, ce qui est mort est mort.
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