ENTENDU AU TRIBUNAL

Monsieur le Président, mesdames et messieurs du jury, 

Monsieur le procureur, les avocats de la partie civile ont admirablement discouru sur la coupable activité du malheur et de la douleur, ce duo infernal dont j'assure la défense. Tout ce qu'ils ont dit est vrai. J'applaudis leur éloquence, les félicite de leur humanité. Ils m'ont fait pleurer. 

Le malheur et la douleur ont l'exécrable réputation que leurs méfaits justifient trop faiblement. Mais l'étrange vocation que mon inné a imposée à mon acquis m'a fait choisir le métier de défendre l'impossible et donné comme client l'assassin, le voleur, le violeur, le père pédophile, la mère incestueuse, le policier ripoux, le pompier pyromane, le politicien véreux, le traitre, l'imposteur, l'escroc. Je me dévoue à sauver la lie de la société de la juste punition qu'elle mérite. 

Aujourd'hui, l'occasion m'est donnée de me changer les idées du triste commerce qui est mon quotidien en étant le thuriféraire des deux méfaits cités en exergue qui accablent le genre humain en lui faisant voir les couleurs les plus macabres de l'arc en ciel (noir, gris, rouge sang). Je le fais non par un esprit de contradiction dont je suis heureusement dépourvu mais pour que justice soit rendue. Je ne demande pas un verdict de clémence, une reconnaissance d'innocence car mes deux clients n'ont aucun complexe, ils assument leur fonction, sont fiers de jouer le rôle du méchant dans la comédie humaine. Il leur a été imposé. Courageux, ils assument en soldats obéissant à un ordre supérieur et nécessaire. Ils en sont les premières victimes car, messagers, ils portent le malheur et la douleur à ceux qui vont en souffrir et ils ne sont pas épargnés. Même délivrés du fardeau, ils en ont le souvenir. Mais, surtout, la répétition est incessante, le malheur et la douleur sont permanents depuis toujours. Ils en sont prisonniers tant que durera la vie. Imaginer le calvaire qu'ils subissent dépasse la plus folle des imaginations. Ils souffrent de la douleur physique, ils pâtissent de la tristesse du malheur dans leur strate primitive, au premier degré, avant que la cible ne soit atteinte et cela des millions de fois, à l'instant même tant la douleur et le malheur règnent partout. Ils sont pitoyables alors qu'on les croit impitoyables. Ils vous pardonnent car l'erreur est humaine.

Mais le malheur et la douleur ne sont pas une fin. Ils savent quitter la scène de gré ou de force grâce à la chance, à la médecine, à la roue de la fortune qui a tourné dans le bon sens et c'est le miracle avec le bonheur et l'indolence. Le sentiment et la sensation de libération, de renaissance atteignent des degrés que celui qui n'a pas connu les affres du malheur et de la douleur ne peut comprendre. C'est une illumination qui a la puissance d'un flash hypertrophié et une récompense inespérée pour ceux qui n'ont pas  succombé aux assauts de l'ennemi.

Vous aurez pitié d'eux même s'ils ne la demandent pas et vous les absoudrez pour l'intensité du plaisir qu'ils donnent à ceux qu'ils ont quitté. 

 

Ils  se savent innocents de ce qui est leur raison d'être. Ils vous demandent seulement de condamner l'injustice dont ils sont les victimes. Soyez généreux, magnanimes, intelligents, pensez à vous, ils savent être reconnaissants, ils vous remercient de m'avoir écouté!!!!!!!