La plupart des jeunes célibataires ne le restent pas et s'apparient. Leur solitude passe de une à deux. Ils deviennent de vieux et de vielles célibataires, avec le temps, parce qu'en plus de leurs défauts et leurs qualités, ils et elles sont misogynes, misanthropes ou les deux à la fois. Emmurés dans le dégout de l'autre, ils n'ont personne à qui parler sitôt qu'ils sont entre leurs quatre murs. Ils compensent ce manque en soliloquant à haute voix ou en silence, in petto et se tiennent des discours, s'interpellent, s'engueulent, se félicitent, réfléchissent, se tenant des conversations comme s'ils étaient deux. À sens unique, elles ne prêtent pas à discussion et le dernier mot ne crée pas de jaloux. Le manque de répondant est le point faible et les célibataires endurcis tombent vite dans la monotonie, l'ennui par la faute au manque d'empoignades verbales, de pugilats métaphysiques, de répliques percutantes, tous des puissants stimulants de l'activité cérébrale.
La misanthropie invétérée, la misogynie carabinée, leur association font perdre à ces malheureux célibataires déjà obligés à se regarder dans la glace pour voir du monde l'habitude de l'expression orale. Le monde extérieur rempli de couples de tous les genres ne fait qu'aggraver leur problème car ils contredisent ses valeurs. Ils s'en excluent, accentuant encore l'isolement et l'enferment silencieux.
Cet état calamiteux que le célibataire endurci était obligé de subir compte tenu de son caractère asocial appartient à l'histoire ancienne depuis que l'IA s'humanise au travers de sa capacité conversationnelle qui en fait un interlocuteur disponible à la demande. Aujourd'hui, la voix sort de l'ordinateur mais elle pourra demain être l'un des attributs de la réplique de qui ou de quoi le célibataire décidera: une personne, un animal domestique qui ouvrira la bouche ou la gueule à la demande, tiendra la conversation selon les modalités qui lui auront été notifiées, se taira, approuvera, ne déclenchera jamais une scène de ménage et réconciliera notre célibataire avec la vie en recréant, à domicile, une société idéale où il sera le maître et le robot pensant un esclave bienveillant tout puissant.
PS: faut-il craindre que ce duo facile à constituer ne fasse des jaloux et des jalouses, que son exemple devienne contagieux, qu'il devienne la règle, remplace le couple, la famille, qu'il finisse par tuer la société, achevant ainsi la destruction du monde que nous n'avions pas terminée.
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