Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


samedi 13 mai 2023

ORDRE ET DÉSORDRE

Il y a 10 ans, dans mon "Dictionnaire sans queue ni tête", j'avais divagué sur le désordre et l'ordre. Mon interprétation d'alors peut illustrer mon propos d'aujourd'hui pour votre édification et ils suivront ce que j'en ai à dire.
  
L'ordre a horreur du désordre. Il le combat pour le réduire, l'anéantir et rétablir le calme, l'harmonie, l'équilibre,  la hiérarchie, l'encadrement, la discipline, le pas cadencé, de l'oie.

Le désordre n'a besoin que de liberté pour s'installer. Il  se nourrit de son bon plaisir, profite de sa disponibilité et ne s'embarrasse que des possibilité du moment. Il ignore le passé qu'il n'a pas connu, se moque du futur qu'il ne connaîtra pas. Il fait même de l'ordre un ami de passage, un fruit du hasard, un compagnon provisoire de voyage. 

Le désordre a une violence intrinsèque, une force potentielle qui lui permet une indépendance totale, une imprévisibilité parfaite, une invulnérabilité complète. Il surgit au dernier moment, quand l'ordre s'est effondré sur lui-même, victime obligée et consentante  de ses turpitudes morales, physiques et physiologiques. Il règne dans les galaxies, triomphe des empires, fait disparaître les cultures, les cathédrales.

Le désordre est souverain. Il a la force du destin.
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Ordre ne se conjugue qu’à l’impératif. Cela fixe ses limites et donne à sa prétention force de loi. L’Ordre devenu public, se veut respectable, policé, garanti.

À l’origine, l’Ordre était divin. Une captation d’héritage par des grands prêtres affairés et malins en a fait un Ordre supérieur qui a rendu tous les autres inférieurs. Il n’y a que l’Ordre des choses qui ne revendique rien, fataliste, prenant la vie comme elle va.

Les autres n’ont pas ce sybaritisme et rivalisent dans le superlatif et l’injonction. L’Ordre ordonne et organise à son profit. Les médecins, les pharmaciens, les notaires, les avocats, les architectes s’en dotent : malheur à qui le défie. La radiation est, au civil, une  condamnation à la peine capitale : honte, déshonneur et interdiction d’exercer.

Les ordres ont toujours fait plaisir à ceux qui aiment en donner, en recevoir, y entrer. Ils ont leur hiérarchie. L’Ordre de la Légion d’honneur regarde de haut celui de la Jarretière ou un mot d’ordre du syndicat du livre, même d’art. Les Ordres professionnels malgré leur puissance ont peu de sympathie avec l’Ordre moral, redoutable corset de préceptes énergiques, évangéliques, éthiques, philosophiques, hautement proclamés, bassement abandonnés et glorieusement exprimés par des entités comme l’Opus Dei, la Scientologie, les Chevaliers Teutoniques ou le dernier des Templiers.

Le maintien de l’ordre est à l’ordre du jour de tous les commissariats des banlieues difficiles mais leur combat héroïque est d’arrière-garde. L’ordre a, en effet, des exigences qui contredisent celles des temps nouveaux. Le défi est d’autant plus difficile à relever qu’il doit compter avec son ennemi naturel : le contre-ordre. Plus dangereux que l’anarchie, la pagaille, il annule l’ordre qui vient d’être donné et le ridiculise.

Les raisons sont diverses : un changement de majorité, un remaniement ministériel, un mouvement d’humeur de la foule. L’Ordre est devenu fragile aussi par la perte de la discipline qui en faisait la force. Elle s’en est allée avec la contestation de l’autorité. Cette perte de la volonté, du courage fait que l’Ordre officiel s’est beaucoup dévalué au profit du laxisme. Les donneurs d’ordre ont oublié qu’il doit obéir à des règles simples : être bref, clairement articulé, juste et rare.

Bref : « rompez », « fuyons », « aux armes », « à l’abri », « debout », « couché », « en avant », « à mon commandement ».

Vous remarquerez que l’Ordre militaire use avec une grande sagesse de l’ordre bref.

Clairement articulé : Dans le bruit de la mitraille et toujours dans l’ambiance militaire un ordre ne doit pas être confondu avec un autre. Aussi, si vous entendez « à l’assaut » au lieu de « en arrière », le nombre de veuves et d’orphelins peut être multiplié par 100.

Juste : Si vous passez un ordre en bourse, ne confondez pas l’ordre d'achat avec un ordre de vente. Il y  va de la sécurité de vos vieux jours.

Rare : Une rafale d’ordres n’atteint jamais sa cible.

Arrêtons-nous un instant sur la trajectoire de l’ordre. Au moment où il est émis, il est solennel, gonflé de l’importance de celui qui le profère. Donner un ordre suppose en effet une position dominante et qu’il tombe sur la tête et les épaules de ceux d’en bas.

Le passage de l’un aux autres est un moment délicat, L’éjection est bruyante. Mais sitôt en liberté, l’ordre s’échappe et vit sa vie. Il est aussitôt soumis à la question : légitimité, faisabilité, intérêt. Sa destinée dépend de l’idiosyncrasie de l’individu ou de celle de la société à qui il s’adresse. Dans certains pays et à certaines époques un ordre était exécuté les yeux fermés. Dans d’autres, au contraire, les ordres fusent mais personne n’y prête attention.

Aussi solennel qu’il soit, un Ordre ne fera pas tomber la pluie ni marcher un paralysé. Il faut donc en user en lieu et temps utiles et dans un but précis, accessible et bénéfique. L’Ordre est, comme la loi - sa partenaire - un mot à utiliser avec discernement, à ne mettre à la disposition que de ceux et celles qui en connaissent les règles, qui savent que l’excès d’Ordre peut être le début de sa fin.

Les grands mots d’ordre, aussi gonflés d’importance qu’ils soient, paraissent bien minuscules quand l’Ordre naturel se réveille et que son bras armé, la force des choses se manifeste : tsunamis, cyclones, chocs tectoniques, météorites, inondations, avalanches, folie humaine. Irrésistible, sourd, muet, aveugle, ne respectant rien, il est comme tous les Ordres, monstrueux quand il ne se ne contrôle pas.
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Désordre n’est pas, comme certains feignent de croire, le contraire d’ordre mais son complément d’objet indirect, l’orthographe le confirme. 

Le mot est très utilisé, notamment dans les moments de crise. Son emploi devient surmultiplié et donne le vertige. Il faut l’aborder après réflexion, après l’avoir contemplé avec calme. 

Le mien ne vous intéressant pas, je vais parler du vôtre. Il est manifestement intérieur. Le moment le renforce : que dois-je faire de tout cet argent que j’aurais pu avoir si j’avais été moins cigalou. Il m’aurait permis de racheter la Société Générale, General Motors et l’Islande pour l’euro symbolique.

Vous dites : « non, l’argent ne m’intéresse pas ». Désordre se réfère alors sans doute au foutoir qui règne dans votre appartement. Il vous paraît aimable car vous avez reconstitué celui de votre seule belle époque : l’adolescence. Parfait. Ne changez rien. 

Votre désordre intérieur n’est pas amoureux ni une confusion des sentiments. En seriez vous atteint que je vous rassurerais : fréquente, banale, curable, personne n’y échappe un jour ou l’autre. Le temps fait tout à l’affaire. Ce n’est qu’un moment à passer et plus tard vous y auriez pensé avec un attendrissement portant au sourire, entre deux sanglots. C’est celle du quinquagénaire au prises avec une Lolita pulpeuse et démoniaque ou de l’institutrice mûrissante qui se décervelle pour un juvénile boutonneux. Quelques semaines d’affolement et vous repreniez le contrôle de vos sens. 

Imaginons que votre désordre intérieur se soit calmé et vous laisse du temps libre. Vous le dépensez à parler, comme tout le monde du désordre extérieur : « Où est le pilote ? » « Qui contrôle la tour de contrôle ? » Personne ne vous répondra car nul ne le sait. Même les instances dites supérieures s’affolent. La situation me rappelle l’état de ma basse cour après une visite nocturne de maître goupil, un redoutable prédateur : tueur pour le plaisir, voleur par profession. Toutes les poules y ont laissé des plumes, même les survivantes. 

Je ne veux pas vous affoler mais ne laissez pas le désordre prendre la direction des vos opérations internes et externes. Ne sachant pas où il va, il pourrait vous mener n’importe où. 

On pourrait croire que le désordre est infâme et qu’il doit être banni. En fait, c’est le contraire, c’est la chose la plus naturelle du monde : de lui est née la vie. Réfléchissons : si chaque chose avait été, dès le début, rangée à sa place avec l’ordre de ne pas bouger, la terre serait triste et vide avec quelques amibes pour tenir compagnie à des microbes n’ayant personne à mordre. 

Le désordre est nécessaire, il donne la liberté de dire et de faire. Rien n’est plus sinistre qu’un régiment qui défile au pas cadencé ou une procession de moines allant à confesse. Méfiez-vous donc de ceux qui ne supportent pas le désordre : les pointilleux, les méticuleux, les obsédés du rangement, de la ligne droite. Ils le sont aussi du code pénal, du politiquement correct, du Dico Sans Queue ni Tête, des vacances organisées et détestent la Foire du Trône, les touche-à-tout, les bons à rien. Le désordre est génétique et il n’y a que la fraction inhumaine de la société qui veut son éradication et que l’ordre règne. 

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