Madame la présidente, mesdames et messieurs du jury,
Je ne referai pas une pâle copie de la splendide plaidoirie de mon amie et consœur qui a démontré d'une façon définitive les raisons à décharge qui innocentent notre client. Je n'épiloguerai pas sur les efforts héroïques de la partie civile qui a essayé de vous impressionner avec imagination et culot, en liant les éléments d'une enquête désordonnée pour en faire un scénario cohérent à la conclusion imparable. Je vais, moi, vous parler d'une chose importante dont ils n'ont pas parlé et qui vous interpellera, j'en suis sûr.
Vous avez entendu, ici, le prévenu les fois où il a ouvert la bouche, on vous a rappelé les déclarations qu'il a faites en liberté, en prison et noté sa façon de s'exprimer, la qualité de son vocabulaire, de sa grammaire et si vous aviez lu sa littérature celle de sa ponctuation et ses fautes d'orthographe. Vous avez remarqué son allure, sa prestance. On vous a longuement décrit son enfance chaotique, son abandon par des parents qui ne connaissaient pas l'amour maternel et paternel, son parcours erratique en familles d'accueil. Il n'est pas devenu pour autant un braqueur de branque, un bandit de grand chemin, un ennemi numéro Un. Sa vie d'adulte a pris un cours banal avec un métier normal dans le bâtiment, des copains avec qui il picolait le samedi soir, des amies, des compagnes. Il alla même jusqu'à se marier et devint un chef de famille. Pour lui trouver des torts et le dire capable de tout, on allègue qu'il n'était pas un bon père, un époux parfait et qu'il changeait souvent de patron quand il n'était pas au chômage. Cela pour vous faire croire que celui qui donnait une fessée à son mioche était sûrement un tueur en puissance. Ils ont réussi, peut-être, à vous le rendre antipathique, en lui peignant un faciès de coupable idéal.
Je poursuis en faisant un retour sur une histoire de disparition qualifiée de criminelle et où un présumé coupable s'est retrouvé accusé du meurtre de son épouse malgré l'absence du corps de la supposée victime. Parce que le cas est encore dans toutes les mémoires, qu'il reproduit, aux détails près, les éléments troublants de l'enquête avec un couple sur le chemin du divorce, un amant un instant soupçonné, des enfants, une machine à laver, des propos imprudents du mari se vantant, devant témoins, de pouvoir commettre le crime parfait. On avait dans les deux cas un faisceau d'indices graves, précis, concordants mais d'un côté les preuves ont été jugées accablantes et de l'autre, des coïncidences, des imprudences, rien de tangible. Dans les deux procès, il y a les protestations incessantes, inchangées, obstinées d'innocence. Pour mémoire, je vous rappelle que celui-là fut finalement déclaré non coupable. Les doutes étaient trop nombreux pour étayer une intime conviction.
Je demande au jury d'être équitable d'appliquer cette jurisprudence. S'il ne le fait pas alors que les faits sont identiques, ce serait pour des raisons inconscientes, indignes et il sera accusé de faire un jugement de classe, je me retiens pour ne pas dire par idéologie petit bourgeoise. La grande et unique différence est que l'autre jury ne jugeait pas le même homme: il avait devant lui un professeur de droit respecté, au langage châtié, couvert de diplômes, bien installé dans la société, traité avec respect. Son enfance n'avait pas été malheureuse, il avait eu de bonnes fréquentations, se tenait bien à table, ne disait pas de gros mots, était content de lui, ses parents et ses enfants en étaient fiers, ne l'abandonnaient pas dans l'épreuve. Comment un tel parangon aurait-il pu commettre un crime? Mon client n'a pas ce passé édifiant, il est vulgaire, parle mal, trop, fait dans la provocation, est mythomane, n'a que ses avocats pour le soutenir, il avoue lui-même être un pauvre type. Cela n'en fait pas plus un assassin que l'autre, fils, gendre, mari, père, citoyen modèle et finalement libéré au bénéfice du doute.
Merci de m'avoir écouté et j'espère entendu. Je répondrai maintenant à vos questions....
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