L'aveuglement a tant de vertus que son succès est mérité et qu'il doit être encouragé. Il protège, prévient, évite, cache l'inacceptable, l'inavouable, l'inadmissible et laisse la comédie de s'épanouir dans la tragédie. C'est une cécité bienveillante qui permet de faire la fête à l'arrière de la guerre, de festoyer quand d'autres meurent de faim, de nager voluptueusement avant l'arrivée de la vague scélérate, de fraterniser avec l'ennemi, de voter pour des incapables, de croire les escrocs, la publicité, les journaux, les sermons, les serments. Il autorise la vie en société de s'épanouir dans le mensonge, l'hypocrisie, les illusions où chacun ne regarde que ce qu'il ne déteste pas. Question de survie. Ne pas voir le tragique qui triomphe à l'ombre de l'indifférence est une stratégie pour les forts, une grâce d'état pour les ingénus, les faibles d'esprit, les crédules. Il faut du courage, de la force, de la lucidité et accepter d'être malheureux pour se rendre compte que l'on s'est trompé de rôle, de pièce, que tout est faux, que l'on était les seuls à ne pas le savoir. Bienheureux ceux qui continuent une existence tranquille, paisible, sereine, inconscients des drames, des tragédies qui circulent autour de leur bulle de survie, à l'abri des vérités dérangeantes, d'une réalité insupportable.
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