Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


vendredi 19 janvier 2018

UN CONSULTANT MULTIPLE

Comme, chaque fois que je ne fais pas autre chose, je consultais quand, bousculant la file d’attente, un client fait irruption dans la salle d’examen, expulse le client que j’étais en train de guérir et me dit, m’agrippant au revers de ma redingote : "docteur, sauvez-moi". Le cas, manifestement, était désespéré, la situation urgente, une intervention s’imposait. Je change de coté le tapis de sol, installe dessus le forcené après l’avoir assommé et attends son réveil dans le bruit de la colère de l’émeute que des clients de dehors spoliés d’un tour ne se gênaient pas de faire sans égard pour la tristesse du sire en train de se réveiller.

- "Docteur, sauvez-moi".

Il avait de la suite dans les idées et savait ce qu’il voulait.

- "Je vous écoute".

- "Comme vous me voyez, je suis ni or ni car, mais quelqu'un de très banal, le quidam du coin, l’inconnu du 3, transparent, anonyme, invisible. Ça, c’est pour mon extérieur, mais à l’intérieur, ce n’est pas moi. Je suis tout le contraire, d’où le drame, ma tragédie, un enfer. Vous verriez un surhomme, une perfection, un concentré, un condensé de ce qui, depuis Adam, s’est fait de mieux dans le genre mâle et humain.

Vous admireriez un beau mec qui ressemble à Delon, à Cooper, à Clooney, avec la démarche de Bebel, l’allure de Jourdan. un mètre 90 de muscles et de nerfs d’acier. Mais ce n’est rien avec tout ce qui habite ma tête. Toute la philosophie, toute la littérature, la musique, les mathématiques, la peinture me sortent par les yeux, les oreilles, m’agitent les mains, les doigts. Je ne tiens pas en place, je cours du piano à la planche à dessin, de l’écritoire au chevalet, du bloc de Carrare au piano et la ronde ne s’arrête pas. Je n’en peux plus. Je ne fais rien, passant du coq à l’âne.  Les idées s’enchaînent, s’enchevêtrent. Faites- moi redevenir celui que vous voyez ".

Manifestement ce monsieur était ce qu’il paraissait être: un possédé. Le délire mystérieux qui le paralysait et l’hallucinait le faisait entrer dans la catégorie bien connue des individus à personnalités multiples. Il se distinguait de la routine par la variété et l’authenticité des sensations éprouvées et qu’il n’arrivait ni à contrôler ni à assumer.  Je comprenais parfaitement sa frustration, sa colère  à ne pouvoir satisfaire tous les dons qu’il sentait bouillir en lui, son impossibilité de satisfaire toutes les entités qui se bousculaient dans son intérieur et qui voulaient s’exprimer : composer, écrire, jouer, chanter, sculpter, se faire aimer, admirer etc.…

Sa résistance m’étonnait et qu’il eut dans un instant de lucidité trouvé mon chemin.

J’avais déjà traité des cas  désespérés, mais celui- ci était "épatant".

Pressé, je n'ai attendu que la fin de ma première expiration pour trouver l’inspiration. Elle m’est toujours fidèle.

- "Vous avez eu raison de venir, je peux tout pour vous.  Vos personnalités sont trop riches pour un seul homme. Dans votre malheur, vous avez eu la chance extraordinaire, peu l’ont, de vous sentir ce que tout le monde désire sans jamais l’obtenir :  grand, beau, intelligent doué en tout, sachant tout. Il n’y a qu’un dieu qui puisse prétendre à une telle perfection. Vous n’êtes pas assez fou pour y songer. Heureusement , dans ce cas je n’aurais rien pu pour vous.

Je vous conseille de profiter au maximum de l’opportunité inespéré, mais avec tact et mesure, vous montrer raisonnable. Vous ne serez jamais James Bond ou Petipas, rien ne vous fera grandir de 20 centimètres (vous êtes trop vieux pour l’hormone de croissance). Je ne vous vois pas non plus en Mozart ou en Léonard de Vinci. Ils sont inégalables, vous ne pourriez pas faire mieux. Compte tenu de votre âge, de votre  de santé qui n’est pas brillante, je vous recommande une activité reposante, avec un travail assis, ni  sculpture, peinture, mais l’écriture..... oui, l’écriture sera l’option idéale, mais de celle dont vous vous sentez possédé : la Grande qui ouvre l’Académie, donne le Nobel, fait gagner le Goncourt.

Le traitement est simple : vous prendrez 10 gouttes matin, midi et soir de cet élixir dans un verre d’eau tiède de la dernière pluie, avant les repas . En 8 jours, vous serez débarrassé de vos fantasmes sauf de celui qui va vous apporter la paix, la gloire, la fortune avec un livre tous les 2 ou 3 ans. Vous n’aurez qu’à suivre les indications du Proust que je vous ai conservé". 

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