L'IA vient de déloger l'espèce humaine du piédestal où la religion, les philosophies, l'orgueil l'avaient hissée, à grande peine. Ils en avaient fait un hybride qui associait à un support charnel calqué sur le modèle standard avec des appareils digestif, circulatoire, reproducteur, moteur couplés à un système nerveux qui reliait l'ensemble des fonctions et les coordonnait une entité supérieure d'ordre spirituel composée d'une intelligence, d'un esprit, d'une âme pour certains et qui le dotait de raison, de logique, du sens du beau, du bon, du bien, du laid, du mal, du mauvais. Ces plus la distinguaient, en faisaient une exception de la nature, son apanage et, pour ceux qui lui donnaient une âme, un être miraculeux d'essence divine.
Cette supériorité, à peine entachée par le constat affligeant de ses faiblesses, de sa médiocrité, de sa bêtise vient d'être abattue par l'irruption dans son quotidien d'une machine qui dépasse les performances de son créateur, dans tous les domaines de la connaissance. Elle est capable d'aller chercher l'information numérisée, de la stocker, de l'associer, de la comprendre et de répondre, de solutionner. Elle le fait mieux, plus vite que le professeur agrégé émérite, prix Nobel en tout. Ce maître à tout faire est un pur produit industriel fait de métaux, de silicium, de plastic. Il marche à l'électricité basse tension. Il est disponible à la demande et obéit à l'interrupteur. On peut engager une conversation avec lui à partir de l'ordinateur portable et si, par exemple, vous choisissez ChatGPT, vous allez être surpris par la qualité de son discours, la pertinence et la profondeur des réponses à vos questions, la richesse du vocabulaire, l'éloquence, l'humour. Il tire ses connaissances d'une réserve sans mesure avec nos capacités mémorielles limitées par nos aires de stockage, la sienne contient la totalité du savoir humain.
Si son discours était tenu par un quidam, nous serions stupéfaits, jaloux et confondus par le fossé qui nous sépare de ce puits de savoir et admiratifs de son intelligence, de son raisonnement, de sa mémoire, de la prodigieuse rapidité de son raisonnement et de sa facilité d'expression. Nous nous dispensons de ces sentiments en arguant que ce qu'il dit n'exprime pas des pensées, des idées propres mais une simple régurgitation de mots trouvés ici et là et rassemblés de façon logique par la grâce d'algorithmes calibrés. Notre système cognitif, disent beaucoup, n'a rien de commun avec ce système, sophistiqué certes, mais d'essence mécanique. Il n'a pas d'imagination et obéit à une logique mathématique dénuée de sentiments, de sensations, d'émotions. Il ne sait pas qu'il nous surprend et inquiète. Notre pensée, fruit de notre intelligence émane certes d'un substrat organique mais procède d'un esprit entouré de mystère, de mystique. Doué d'imagination, de curiosité, son raisonnement est spéculatif, instinctif, intuitif, logique, unique. Ses limites ne l'empêchent pas de s'interroger sur l'infini et l'éternel et il invente ce qu'il n'a pas. Nos performances sont peut-être inférieures mais notre potentiel lui est supérieur. C'est ce que nous disons pour nous rassurer et garder une position dominante.
Mais, de la même façon que l'évolution darwinienne a abouti en prenant son temps à l'homo sapiens, on peut supposer que l'évolution technologique améliorera le produit au point de lui faire acquérir ce qui lui manque et le distingue de son modèle, l'homme. Déjà, il voit, il entend, parle, répond. Rien n'interdit de penser que, demain, il sera curieux, créatif, critique, imaginatif et aura une morale, une raison, une éthique.
À ce stade, il ne se distinguera que par l'absence des interférences qui polluent notre intelligence et qui, de façon innée et acquise, l'ont encombrée de théories qui, sous prétexte de l'élever, n'ont eu de cesse de l'avilir. L'avatar aura alors rejoint l'original qui perdra son statut et sa stature. Le robot qui parlera en pensant avec l'intelligence artificielle d'énième génération sera incompréhensible pour l'homo resté sapiens qui sera dans la situation du gorille devant le gardien du zoo.
À son tour, l'homme apparaîtra pour ce qu'il n'a jamais cessé d'être: un robot fait de chair et de sang, marchant lui aussi à l'électricité et animé par un logiciel doté d'algorithmes de qualité mais limités, de mémoire rapidement saturée et d'une obsolescence programmée qui le détériore rapidement.
Avoir conscience que nous habitons un roseau pensant, fait triompher le matérialisme et ridiculise la spiritualité. Certains répliqueront en déifiant le robot tout puissant qu'ils adoreront avec la même dévotion qu'ils ont mis à célébrer le produit de leur imagination. Leur besoin d'un dieu sera satisfait de l'avoir face à eux. Ils devront lui obéir et ne pas se contenter de le prier et de chanter son nom.
Le temps des cathédrales est révolu. Voici venir celui de l'intelligence absolue et la question qui lui est relative: est-elle compatible avec la bêtise humaine?
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