"Dancharr", m'écrit un anonyme "Votre misandrie et votre misogynie atteignent des sommets. Pourquoi cette escalade?"
"Bien vu, cher ami inconnu et je m'étonne que vous sembliez déplorer cette évolution. Elle s'inscrit dans la logique d'une estimation mathématique de l'humanité commune dont heureusement nous ne faisons pas partie, sinon je ne disserterais pas sur cet objet et vous ne me liriez pas. Il s'agit donc des autres, ceux qui n'ont ni la sagesse ni l'intelligence qui leur éviteraient d'ignorer notre existence ou de ne pas aimer découvrir ce qu'ils sont. Je les comprends car apprendre que l'on est proche de l'ignominie est une révélation déplaisante.
Ce constat doit son objectivité à la fréquentation aussi bien des grands esprits, des illustres, des célébrités via leurs écritures, leur histoire que des simples mortels que la vie quotidienne oblige à côtoyer.
Dans tous les domaines: philosophie, religion, arts, politique, sciences où l'auteur a été encensé, acclamé, déclaré génial, inscrit au patrimoine de l'humanité ou digne de figurer à côté de feue la bibliothèque d'Alexandrie parmi les merveilles du monde, si on regarde mieux, on trouve un individu qui ne correspond pas à l'image que son œuvre suggérait. Cela n'enlève rien à sa qualité monstrueuse et ne diminue pas l'admiration portée sur elle, mais fonde l'idée qu'un mauvais arbre peut donner de beaux et bons fruits.
Sénèque en est un exemple parmi d'autres. Précepteur de Néron, un empereur de sinistre mémoire, il fut l'un des hommes les plus riches de Rome. Il reste connu comme un grand philosophe stoïcien, donneur de conseils et de leçons. Citons quelques unes de ses maximes:
- il faut tout une vie pour apprendre à vivre,
- être asservi à soi est le plus pénible des esclavages,
- le coupable est celui à qui le crime profite,
- commence à être l'ami de toi-même, tu ne sera jamais seul.
Il prônait une vie vie simple, détachée des biens matériels selon le principe stoïcien que la vertu suffit au bonheur et toute sa vie fut une recherche de la richesse, du pouvoir, de la reconnaissance. Il enseignait la sagesse et n'était pas sage. Il ne le fut que le jour de sa mort.
La religion est un terreau fertile aux contradictions les plus scandaleuses avec l'hypocrisie et le mensonge en toile de fond. Le discours y est facilement aux antipodes des actes et la noirceur de l'âme se cache sous des airs angéliques. J'en arrive à croire que la foi est l'alibi qui permet aux vices de prospérer en sachant qu'ils seront pardonnés au bon moment. Pourquoi s'en priver?
Les artistes sont jugés sur les beautés que leur génie artistique les rend capable de peindre, de sculpter, d'écrire, de composer tandis que leur génie domestique en fait des ivrognes comme Verlaine ou des criminels comme Villon, le Caravage, le marquis de Sade, des courtisans comme La Fontaine, Racine, Corneille encensant les puissants de leur temps dans des homélies indécentes.
La politique est l'arène par excellence où les doubles je et jeu sont au comble. La dualité y est en majesté et cohabitent en toute impunité avant que l'Histoire ne s'empare de leurs histoires. Pas un n'en réchappe, de l'homme d'état le plus grand au politicien le plus petit. Les gloires les mieux installées sur leur piédestal ont toutes des casseroles que l'on s'efforce de ne pas voir pour garder l'illusion. Tous nos rois, nos empereurs, nos présidents trainent derrière eux ce genre de bagages dégradants: certains en ont beaucoup au point d'avoir coulé, d'autres peu mais toujours trop. Ainsi, j'admire De Gaulle, mais ne lui pardonne pas d'avoir trahi et abandonné les harkis par milliers aux mains de leurs ennemis qui les ont fait mourir dans d'atroces supplices.
Mêmes les scientifiques, ces purs esprits mathématiques, ne sont pas exempts de vilénies. Combien de grands, avec photos, statues, médailles, panégyriques, ont volé leur découverte, leur invention, leur Nobel à un doctorant, un assistant, un confrère ?
Mais passons sur ces grands personnages de petite vertu : ils sont sans intérêt, car on ne les fréquente pas. Ils n’interfèrent pas avec notre quotidien comme le font ceux que l’on aimerait, s’ils n’étaient pas comme ils sont. Les amis déçoivent, un jour ou l’autre, car la proximité révèle la comédie de l’amitié : l'un a besoin de se souvenir de sa jeunesse, d'une oreille, d'une présence, d'un refuge, l'autre d'une assiette, d'un lit confortable. La famille est un autre théâtre où les comédiens trahissent vite leur nature . Elle ressort au moindre prétexte que l’on invente quand ils n’existent pas. Des différences de caractères, de la jalousie, de l'égoïsme, de la bêtise, de l’avarice naissent les rancunes qui couvent avant d' exploser. Alors la famille est rangée dans le tiroir des vieux souvenirs.
Cette élimination par soustraction, dans des relations qui finissent toujours par révéler leur vrai visage, consacre le triomphe et la justification de la misanthropie : le seul moyen de fuir l’hypocrisie.
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