L’homme gère, en permanence, trois états qui rendent sa vie
difficile. Il doit faire semblant d’être unique alors que ce qu’il fait, ce
qu’il dit et ce qu’il pense ne coïncident presque jamais.
Cette difficile synthèse n’est cruelle que pour ceux qui ont
conscience d’être déchirés dans leur intime. Heureusement ils sont rares.
L’essentiel laisse faire, parle pour ne rien dire et pense peu ou mal.
Abandonnons-les à leur néant. Dans cet état, indifférent à tout, on ne souffre
pas. Certains sont heureux, semble-t-il.
Intéressons-nous à quelques cas.
1er exemple : l’homme politique.
Il est exemplaire car il doit adapter la réalité dure et
pure à sa vérité intérieure et aux mensonges qu’il professe pour être élu,
populaire, réélu.
On pourrait croire que cette trinité inconciliable
entraînerait un conflit psychologique insupportable et une démission rapide
pour en sortir. Curieusement, cela ne se produit jamais. Conclusion : pour
être un homme politique, il faut être cynique, sceptique, hypocrite.
2ème exemple : l’homme d’église.
Il n’exerce pas un métier mais un sacerdoce. Il se dévoue à une
croyance extraordinaire (un dieu invisible et tout puissant, le paradis pour l’éternité,
les miracles, la résurrection, etc.). Elle doit coexister avec sa nature
humaine qui a des exigences parfois impérieuses et contradictoires avec les
canons du règlement intérieur de son institution (célibat, chasteté, résistance
aux tentations des péchés capitaux passibles de l’enfer).
L’usure de l’un, la résurgence de l’autre, une discipline
impossible font que la coexistence de ces trois états peut se révéler
conflictuelle au point que le pauvre curé ne vive l’enfer sur terre.
3ème exemple : le militaire.
C’est un homme de paix entraîné à faire la guerre et prêt à
donner son sang pour la patrie. L’idée est grandiose. Le passage à l’acte
(parachutage, crapahutage, embuscade, corps-à-corps, champ miné, et il y a eu, pour
certains, l’abandon des harkis, les corvées de bois, la pratique et l’enseignement
de la torture) est terrible.
Le 3ème état de son débat intérieur est éthique
et il doit décider si la cause est assez juste pour qu’il puisse tirer, appuyer
sur le bouton qui fera tomber la bombe, partir le missile air-sol et garder son
honneur, sens que le militaire de carrière a, par principe, plus développé que le
pékin ordinaire. Il se heurte là, alors, à la discipline, bras armé de l’obéissance
aux ordres, parfois stupides, d’une hiérarchie qui, souvent, fait la preuve d’une
bêtise dont la constance a pu apparaître comme congénitale. Le choix est cornélien et fait que le soldat de carrière met en balance, souvent, sa vie, sa
valeur, son honneur. Métier de tous les dangers.
4ème exemple : le médecin.
Il ne devrait pas, croit-on, avoir, lui, de gros problèmes
philosophiques. Il aime son prochain au point, non de prier pour lui dans le
confort d’un couvent, mais de se salir les mains dans ses sanies, de l’écouter
raconter ses douleurs, ses angoisses, ses peurs et de risquer d’attraper à son
contact la peste, le choléra, la tuberculose, le sida. Détrompez-vous. Le
médecin est accablé par des exigences inconciliables :
- On le veut tout puissant, lui qui se sait
impuissant ;
- On lui reproche de ne pas guérir, comme s’il
était responsable de l’état de la médecine ;
- Comme les Diafoirus, qui au temps de Molière tuaient
les malades en les saignant à coup de lancette, on l’accuse aujourd’hui de les
faire mourir en donnant des médicaments dangereux et inutiles ;
Lui, qui voudrait vivre normalement, il accueille dans son
cabinet, toutes les horreurs de la vie et de la mort et on lui reproche, pour
l’achever, d’en profiter grassement. Beau métier impossible.
Comment s’étonner que ce sont les médecins qui ont le taux
de suicides le plus élevé de toutes les professions ?
En
conclusion.- Il faudrait, pour être en harmonie avec l’idéal, n’avoir
que de nobles pensées, dites de façon éloquente et suivies d’un passage à l’acte,
fidèle au fond et à la forme.
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