Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


dimanche 9 mars 2014

C’EST VOUS QUI VOYEZ

Orfèvre en la matière, je vous offre les moyens d’embellir votre vie. Pour vous hisser à votre juste valeur, je mets à votre disposition des dispositifs hauts de gamme, vous offre des prestations haute définition dans un environnement hors du commun.

On vous oublie aussi vite que l’on vous entraperçoit, vous êtes le seul qui vous écoutez et qui êtes content de vous l’entendre dire. Votre charisme est voisin de celui d’un réverbère éteint. Et pourtant, vous aimeriez que le monde sache que vous existez,  vous rêvez d’être questionné, interrogé, sollicité, souffrir d’adulation, n’avoir plus une minute à vous, etc., etc.

,Vous si terne, invisible, inaudible, je peux vous transformer en une Ferrari que l’on contemple, admiratif, envieux.

C’est possible si vous êtes motivé, si votre besoin n’est pas une lubie et le vague regret de n’être pas plus que vous.

Si vous vous investissez à 300% dans le projet, je peux transformer votre fond et votre forme . Ma corde d’orfèvre aurait fait de moi, au Moyen âge, un alchimiste capable de muter le plomb en or.

Ce miracle commence par le plus facile. Je change votre aspect. Aujourd’hui, vous êtes un individu dans la foule, anonyme. Je vous sors du lot commun, vous mets en évidence et fais de vous ce que les autres ne font pas :

-      Ils sont gris, je vous habille en blanc.

-      Ils sont blancs, je vous couvre de noir. Vous allez, maintenant, trancher, sortir du flou général et devenir unique, particulier, original.

-      De près, vous aussi serez différent :

Si vous êtes un homme, vous serez moustachu, mais votre moustache sera énorme, incongrue, obscène. On ne verra qu’elle. Elle alimentera la conversation, choquera, énervera sans que vous ayez un mot à dire.

Si vous êtes une femme, votre tête sera soit rasée avec un tatouage éphémère effrayant soit encapuchonnée par une chevelure extravagante. Le maquillage discret révélera une femme portée autant à l’introspection qu’extravertie.

La vêture sera à l’unisson : interpellante. Pour l’homme, je préconise le look cavalier, fringant, mais à la différence d’un vétéran du Cadre Noir, décontractée, avec du liant dans le jarret.
Pour une femme, je propose: le look George Sand qui impressionnera les âmes romantiques ou le style martien à qui veut se projeter dans l’avenir.

Travestir est facile. Transformer est difficile et il faudra beaucoup apprendre pour changer. Votre base est solide. Elle sera notre point d’appui, une référence constante. Vous le savez : il ne suffit pas d’ouvrir les bras pour qu’on vienne vous embrasser. Le secret est ailleurs, dans le sourire. C’est le début du reste. Comme un Oui ouvre une porte, le sourire vous rend bienveillant, accueillant. Attention, ce n’est pas le "cheese" américain, celui qui n’atteint pas les yeux. C’est un sourire automatique, pavlovien, sans chaleur et qui fait peur. Le nôtre n’est pas commercial, mais sentimental, émotionnel, sincère. Il est global, total. Tout le facial (massif) est en action : les yeux sont écarquillés de bonheur, les lèvres relevées, étonnées avec une concavité supérieure qui fait monter les commissures aussi haut qu’elles le peuvent, les zygomatiques sont contractés à la limite de la crampe. Le front est plissée de joie. De toute votre gestuelle, c’est le sourire qui nous occupera le plus. Il doit être parfait alors que l’actuel est larvé, constipé, atrophié, limite rictus. Je vous lâcherai quand il sera spontané, énorme, convaincant. À lui seul, il vous illuminera.

Vous vous plaignez que personne ne vienne vers vous. En réalité votre solitude n’est que la conséquence de votre attitude : elle montre votre manque d’intérêt pour les autres. Ils vous rendent la pareille. Ils ne vous voient pas parce que vous ne les voyez pas. Ils le devinent à la façon dont vous mettez les mains dans le dos, dans les poches, à ne pas les fixer, à paraître pressé, occupé. Je vous apprendrai à faire le contraire, à agiter les bras, à les prendre à témoin. Ils s’approcheront fascinés et là vous les ferrerez en posant des questions sur ce qui les passionne, c’est-à-dire leur petite personne. Le seul sujet qu’ils connaissent de A à Z. Ils seront intarissables sur ce qu’ils aiment, ce qu’ils veulent, ce qu’ils font. Le choix est sans limite. Adaptez-le à la situation. Je vous rendrai capable d’éprouver de la sympathie – ne parlons pas d’empathie, qui vous rendrait dépendant -. L’effort sera à la mesure de la carence actuelle.

Mon rôle d’orfèvre en la matière sera de vous suggérer l’attitude à prendre, le propos à tenir. Je ne serai pas votre meilleur guide,vous l’êtes déjà. Il vous suffira d’inverser votre réaction. Elle était négative, prenez l’option positive. Elle vous apporte la solution. Vous devez acquérir cette capacité critique . Grace à elle, vous surmonterez ce handicap. Il ne résistera pas à quelques séances musclées qui mettront à l’épreuve votre échelle de valeurs.

La réhabilitation dure trois mois, à raison de deux séances hebdomadaires de trois heures. L’une se fait en interne avec initiation à la psychologie comportementale , simulation en grandeur naturelle et quelques crises de nerfs, de pleurs, de rires. La deuxième se passe en extérieur avec passage à l’acte, en condition réelle avec improvisation et mise en application des connaissances théoriques. Cette confrontation me permet aussi de montrer l’exemple d’une bonne pratique. Cela encourage l’élève à persévérer pour atteindre mon degré d’excellence.

Le test final se passe lors d’un vernissage dans une galerie de Saint Germain des Près. Il réunit des bobos, de faux-intellectuels, des  blasés professionnels difficiles à étonner car revenus de tout et ne s’intéressant à personne. Réussir dans ce milieu frelaté une percée significative est la preuve que le challenge a été gagné.

Le postulant arrive, habillé et maquillé de façon étonnante, un sourire fait étinceler tout le visage disponible. Il doit en 30 minutes chrono focaliser l’attention, devenir le centre d’intérêt des invités et magnanime s’empresser auprès de l’artiste un instant délaissé, le féliciter, l’encourager, se faire offrir une toile et repartir, tel un ouragan, laissant derrière lui une foule extatique, des regrets, des soupirs, de l’admiration, des interrogations et plein d’invitations.

L’examen de clôture est infaillible. Dans les rares cas où il n’a pas été concluant, une petite mise au point suffit à corriger l’erreur et l’épreuve de rattrapage est toujours couronnée de succès.

Je préconise, dans une deuxième étape, un retour à la normalité de l’habitus. Il est progressif, la moustache se raccourcit graduellement, la chevelure perd de sa luxuriance ou se remet à pousser. Il se fait au fur et à mesure que la confiance prend le dessus et que la vie cesse d’être jouée. Je ne veux pas que ma clientèle devienne des clones de Dali, de Mathieu, de BHL ou du Mahatma Gandhi. L’exubérance peut se passer d’extravagance. Elle doit être contrôlée, intérieure, sans béquille. Il vous restera à gérer votre succès, votre popularité, à être plébiscité, à devenir le sauveur de la patrie, le recours universel.

C’est vous qui voyez…

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