Le Saint Graal de la littérature mondiale n’est pas à la
portée de tous les écrivains. La sélection est sévère. Elle est l’apanage d’un
groupuscule d’esprits pénétrés de l’importance de leur mission, dévoués à célébrer
la mémoire de l’inventeur de la poudre de 4ème génération et
précurseur inspiré de l’extermination de masse. L’abnégation dont ils font
dorénavant preuve dans l’exercice de leur fonction augmente encore notre
admiration.
Leur choix obéit à des critères que les candidats à la
gloire ne doivent pas ignorer s’ils veulent, au terme de leur fécondité,
quitter l’arène littéraire avec un petit viatique qui leur assurera une
retraite paisible et une notoriété à laquelle ils avaient renoncée.
Ils doivent être :
1/ Obscur aussi bien dans la forme que dans le fond.
Le style sera hermétique, avec une tendance sans équivoque à
l’incompréhension totale du lecteur moyennement cultivé, possédant le
vocabulaire habituel de l’honnête homme de sa catégorie et une maîtrise
raisonnable de la grammaire, de la syntaxe.
Le style privilégiera une simplification apparente de la prosopée
en employant le contre-sens systématique mais hiérarchisé. La banalité du
propos exclura toute trivialité et se maintiendra aux frontières de la
méditation transcendantale. Il sera renforcé (le propos) par l’éloquence de sa
traduction syllabique.
L’opposition entre le fond et la forme est le stigmate qui
interpelle les fondés du Nobel littéraire. Elle garantira également
l’enthousiasme des critiques de Libération, de Télérama, de la Revue des deux
mondes et de Témoignage Chrétien qui découvriront leur héros de toujours dès
l’annonce du résultat.
2/ Inconnu.
Le Nobel de Littérature ne récompensera jamais un grand
écrivain populaire : Graham Green, Kessel, Burgess, Montesquieu (oui, je
sais, mais à titre posthume) ne l’ont pas été. Aujourd’hui Le Carré, Stephen
King, Grisham ne le seront jamais. Il doit être inconnu de tous, publié quasi à
compte d’auteur par un éditeur habitué des tirages confidentiels, traduit d’une
langue connue des seuls habitants d’un pays ignoré car trop petit pour apparaître
sur une carte. Le tirage de tous ses chefs d’œuvre aura été limité à la
satisfaction de ses proches (la famille ayant habituellement disparu durant
son jeune âge).
La personnalité de l’auteur enfin sorti de l’anonymat où il
se complaisait pour ne pas laisser distraire une inspiration puisée aux
meilleures sources (en voie d’épuisement compte tenu de la baisse de la nappe
phréatique) apparaît - à ceux qui ont réussi à l’approcher – très riche. Elle
se définit par une apparence austère qui s’enveloppe dans un silence éloquent.
Le regard sibyllin est dominé par un regard perçant. Il sait émettre des
sentences définitives qui illustrent à merveille le sens caché de son message à
la portée universelle.
3/ Respectueux de l’environnement. L’œuvre doit avoir du
signifiant, c’est-à-dire signifié que l’empreinte carbone de sa pensée, de ses
actes et de son écriture ne participe pas au délabrement de Gaïa, sa muse
exclusive. Elle doit permettre à Télérama de sortir un numéro spécial sur son
héros du jour – valable pour tous les candidats, seul le nom aura été laissé en
blanc – où le critique en extase saura montrer que l’auteur nous a apporté ce
qui manquait depuis le départ d’Arthur R. en Abyssinie en 1880 et que lui
aurait apporté l’autre espoir s’il n’avait pas, dans une mort prématurée et
préméditée, préféré se retirer du champ d’honneur de la littérature On retrouve chez
l’impétrant la fulgurance d’une destinée activée par le génie créatif et qui a
su s’épanouir avant de s’envoler prématurément comme les deux jeunots qui ont
été ses aînés.
Mieux encore qu’ils l’auraient été s’ils avaient été dans
son siècle , il a su parler de l’air, de l’eau, de l’herbe, du souffle, de la
ruminance de la vache asservie à son pis, du cochon qui sommeille dans sa
bauge, du bouton d’or du pissenlit qui revendique sa place face au dédain du
tournesol victime lui-même de l’activisme forcené d’une agro-culture
industrielle, complices des pollueurs, des conservateurs et d’un ministère de
l’agriculture aux ordres des destructeurs de nos mouches à miel, gardiennes de
la fécondité et de la biodiversité.
Nanti de ces trois qualités qui font la gloire et la
grandeur d’une littérature iconoclaste sans lecteur car illisible, sans intérêt
car ouvrant des portes ouvertes, biocompatible avec tous les poncifs du moment,
l’homme de lettres qui les réunit a toutes les chances d’entrer dans le
panthéon des enterrés vivants dans la légende de la littérature disparue.
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