Ou
l’origine des malheurs du monde
CHAPITRE XI
LA
POLITIQUE
Les épreuves qui accablent
l'adolescent seraient insupportables si des échappements
ne venaient diminuer la tension. La fuite dans les occupations ludiques est le
principal mécanisme
de cette défense.
Elle est efficace car les distractions sont des activités qui stimulent
l'imagination, canalisent l'énergie
et apprennent le goût
de la fête.
Elles ont, par là,
un rôle fondamental dans la
formation et sont des lieux d'échange
et de communication incomparables.
Elles permettent aussi
un contact avec une réalité et une ambiance moins conflictuels
que le sont la famille, l'école,
le lycée,
etc.
Cette confrontation
peut ne pas servir d'exutoire aux conflits internes. La perception de ce qui se passe dans le monde réel se confine alors à un milieu où l'adolescent
n'est pas en phase. Il perd
ainsi la chance de se frotter à un
aspect plus amical et convivial de la société, dans un milieu où sa différence ne pose pas de problème. Dans ce cas, rien n'atténue son ressentiment. La
subjectivité du
regard devient exclusive; toutes ses expériences
du moment la renforcent.
La solution ou
l'opinion qu'il proposera a peu de chances d'être
la bonne car il n'aura pas acquis l'habitude d'étudier
tous les aspects d'un problème
d'un œil serein.
L'adolescence est l'âge de l'impatience. Il a
envie de répondre
à la question au moment où elle se pose. Cette hâte et une évaluation incomplète ne peuvent donner qu'un
mauvais résultat.
Le besoin d'action
de l'adolescence, positif en soi, privilégie
malheureusement le court terme car ses aspirations sont immédiates.
Le long terme n'entre pas dans ses préoccupations.
Cette incapacité de résoudre les difficultés à froid sévit beaucoup en politique.
Elle traduit une impuissance à appréhender
le réel et à y faire face. Ce traitement
est caractéristique
du pouvoir tel qu'il est exercé
par l'énarchie.
Elle oscille constamment entre deux erreurs; soit elle court au plus pressé sans se soucier des effets
et aboutit à
une décision
hâtive, incomplète, spectaculaire parfois,
catastrophique à
moyen et long terme, soit elle ne fait rien car la situation est si complexe
que la solution suppose des réformes
compliquées.
Le travail paraît
impossible à
des gens si pressés.
C'est au temps et aux futurs détenteurs
du pouvoir que le terrain est abandonné.
Les événements qui défrayent l'actualité et effraient le sens commun,
sont 1e fait d'individus dont la situation éminente ne paraît pouvoir s'acquérir qu'après avoir fait la preuve de
qualités
de sagesse, de réflexion
et prouvé
que la versatilité,
l'irrésolution,
la générosité à courte vue, les foucades
leur étaient
étrangers.
Exercer un pouvoir suppose
en effet des vertus qui ne ressemblent en rien aux qualités qui permettent la conquête de ses attributs.
L'histoire aurait dû leur apprendre la
circonspection. Beaucoup des grands désastres
qui ont ensanglanté le monde ne s'expliquent que par une décision illogique,
irrationnelle prise par un roi, un empereur, un grand capitaine, un généralissime inconscient,
fantasque, prétentieux,
narcissique au point de n'écouter
que les flatteurs, poussé à l'action sans en peser les
conséquences, intransigeant et
devenu sourd à la
prudence. Plutôt
que de revivre Azincourt, Waterloo, Sedan, les offensives du général Nivelle, les péripéties du Watergate, de l'Irangate
nous parlerons de deux faits d’armes qui ont défrayé la chronique des dernières
décennies.
L'affaire du
Rainbow-Warrior est encore dans les mémoires.
A tous les stades de la décision,
de la préparation,
de la mise en place, du déclenchement
et surtout à
l'occasion des explications finales nous trouvons des réactions, des mensonges, des
refus de responsabilité qui
expriment de façon
caricaturale la personnalité immature
des hauts personnages de l'État, de l'Armée
qui décidèrent, organisèrent, ce médiocre attentat. Ils la cachèrent sous la componction, le
masque sévère, la volubilité ou le silence que la
fonction impose. Cette façade
dissimule mal tout ce qu'a supposé
une telle détermination.
Quelques unes des raisons ont été dites. Il est facile
d'imaginer les autres: la colère
d'abord qui ne supporte plus la contradiction d'une poignée d'écologistes, la rage de se
savoir assez fort pour donner une leçon à des infatués, la peur d'être ridiculisé par un petit bateau se
faufilant au travers d'une escadre, le plaisir de construire un complot, de
s'essayer à la
guerre avec les armes que la persévérance a enfin permis
d'obtenir après
tant d'années
passées à regarder jouer ceux qui
avaient le pouvoir.
Comment résister à de telles sollicitations et
envisager le ridicule d'un échec,
la mort d'un homme, le déshonneur d'une France ravalée au rang d'État terroriste.
Des vrais adultes se seraient arrêtés à ces considérations; des adolescents sont
tombés dans le piège et se sont affolés dans le désastre, préférant se taire puis nier pour
enfin, acculés à l'évidence, reconnaître avec embarras leur responsabilité.
Quelques années plus
tard, un scénario presque semblable est mis en scène. Une autre équipe est au commandement.
Elle n’a rien retenu des leçons de l'échec précèdent. Elle est aux prises
avec un problème
qu'elle ne sait comment résoudre.
Les écologistes sont devenus des
canaques. Ils contestent notre présence.
Ils sont eux aussi, nous assure-t-on, manipulés
par l'étranger.
Ils ne sont pas pacifiques niais violents et l'ont prouvé en massacrant quelques
gendarmes et en capturant les survivants. La négociation
commence. Elle progresse difficilement dans les palabres et les revendications.
L'honneur du pays et la proximité
des élections présidentielles ne se satisfont
pas de son rythme L'orgueil national a été atteint. L'humiliation
infligée à
des soldats par des individus dont les qualités
ne sont pas les nôtres
ne saurait être
laissée
impunie. La possibilité d'une
revanche permettant peut-être
une vengeance mérite
d'être considérée.
Les obstacles à un compromis avec des gens
tellement différents,
la possibilité
d'employer la ruse, une technologie puissante - peut-être des bombes commandées par laser - bref, de faire
étalage de toute une supériorité intellectuelle,
technologique, militaire convainc les ministres, le chef du gouvernement - demain
président de la République - que l'attaque est
la seule réponse
digne de la France contre des insurgés
primitifs, mal armés. L'assaut est donné le jeudi 5 mai 198S, le
carnage tient ses promesses, les otages sont libérés. Leur liberté justifiait les morts des
deux côtés. Les chefs militaires, les
hommes politiques sont fiers de leur décision,
de la manière
et des résultats.
Pour aucun d'eux il ne s'est agi d'un jeu. Leur conviction, leur sincérité, leur bonne foi peuvent être considérées comme entières. La décision n'a pas été prise sans intenses réflexions. Elle leur est
apparue comme inéluctable.
Ils méritent
notre confiance sans restriction sur ce point. L'adolescent ne joue pas. Il en
a abandonné l'habitude. Ce qu'il fait est fait sérieusement, convaincu de son
droit, sûr de sa dialectique. Il les éprouve et n’en use que depuis peu mais le doute ne l'habite
pas. Ses choix, ses amours. ses haines peuvent changer selon la dernière influence dominante, sa
certitude est totale à
chaque fois. L’honneur de la
France, l'avenir de la Nouvelle-Calédonie
exigeaient un bain de sang. Quel adulte un peu prévoyant,
un peu conciliant, avec quelques souvenirs du passé et l'appréhension des lendemains aurait
agi avec une telle impétuosité? Une identification si complète, si parfaite n'est pas
charmante.
Les hauts faits de
nos hommes politiques ont suscité ce
climat détestable
qui a souvent ressemblé à une guerre civile dans notre
pays. Il est entretenu par les partis qui s'accusent à tour de rôle de turpitudes et rejetant
sur les prédécesseurs la responsabilité de tout ce qui va mal. L'état politique supprime les états d'âme. La guérilla absurde ne résout rien et détruit les relations civiles.
Le politicien qui fait de l'adversaire un ennemi est poussé par l'ambition et la soif du
pouvoir. Elles éteignent
les scrupules. Elles s'accompagnent pour la même
classe de l'impossibilité de
reconnaître
à l'ancienne majorité un mérite, une initiative
heureuse. La minorité
courageuse qui s'y hasarde n'est pas loin d'être
traîtresse. Le politicien dans
l'opposition est sur la défensive
quand on lui demande des comptes sur sa gestion passée et mène une offensive dans
l'espoir de regagner le pouvoir. La position est délicate. Elle l'oblige à entretenir une querelle.
Elle ressemble à celle
qu'il avait inaugurée
avec ses parents. Elle avait pu être
maîtrisée mais a peut-être laissé des traces. Le besoin de
pouvoir est le même
que celui d'indépendance
qui oppressait l'adolescent. L'avidité,
la suffisance, les certitudes sont les mêmes
sans la faiblesse et l'inexpérience
de la jeunesse. La cruauté,
la partialité du
jugement sont débarrassées des réticences, aiguisées par un appétit qui revient plus fort
parce qu'il a déjà été rassasié. Le politicien déchu tolère mal la situation
humiliante où le
met la défaveur
des urnes. Il a peut-être
subi dans l'adolescence des rebuffades mais il connaît maintenant les réponses aux questions et il
est certain d'être
un chef. Sa rage d'une reconquête,
qui lui fait, sacrifier famille, amis, éventuellement convictions n'est pas non
plus un signe de maturité.
Le déçu hargneux est devenu plus
que jamais dangereux.
Le monde politique
combine de façon
caricaturale l'intransigeance, le sectarisme et le mépris. Ce dernier a été renforcé par la puissance qui
s'attache au mandat électif.
On imagine avec effroi le degré
atteint par tous ces sentiments quand le pouvoir est quasi régalien.
Tous ces
comportements renvoient à l'adolescence car c'est a ce
moment que s'acquiert la possibilité d'évaluer et d'assumer, de répondre de ses actes. Cette
capacité
suppose une lente maturation de la personnalité
qui prend conscience de son identité et
de sa liberté.
Elle s'établit
progressivement et l'adolescent est devenu adulte quand la responsabilité est revendiquée et assurée.
Les politiques
s'absolvent de leur irresponsabilité et
des conséquences
politiques, sociologiques parce qu'ils n'ont pas évacue
l'esprit de groupe où l'adolescent se réfugie
quand le monde adulte lui apparaît
hostile. Il trouve réconfort
et sécurité car la chaleur de la bande -
ici un parti politique – manifeste alors bruyamment sa solidarité. Cet appui renforce sa bonne
conscience et son soupçon
d'une conspiration de la part des autres.
Ces comportements
politiques rejoignent beaucoup d'autres attitudes et démontrent seulement que leur adolescence
est inachevée, qu’ils
ne sont pas dignes d’une fonction qu’ils ne doivent qu’à la même immaturité de leurs
électeurs..
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