De notre envoyé spécial au
banc de l’accusé
Le Temps est un mal aimé. Son procès est permanent et cela dure
depuis le début de l’éternité :
Pikentétron, le grand philosophe
du Cro-Magnon le fustigeait déjà sur les murs de la grotte de Lascaux. Un
auteur célèbre de son temps le conspuait dans un bas-relief de la grande pyramide. Depuis les griefs n’ont cessé et, aujourd’hui, une class-action le défère devant la justice.
L’acte d’accusation est fourni. On lui reproche pèle-mêle :
- de nous le faire perdre;
- de nous le pourrir;
- de nous le pourrir;
- de nous le gâcher;
- de nous le durcir;
Et, surtout, péché impardonnable
- de nous faire vieillir au point d’en mourir.
Que répondre à tant de haine, à tant de bonnes raisons ?
- de nous faire vieillir au point d’en mourir.
Que répondre à tant de haine, à tant de bonnes raisons ?
C’est ce que l’avocat
de la défense va essayer de combattre en démontrant l’innocence de son client. Il a la chance d’avoir obtenu que l’illustre
ténor du barreau, l’ex-célèbre Dancharr quitte
sa retraite dorée pour gagner cette cause perdue d’avance.
Laissons-lui la parole:
« Madame la présidente, mesdames et messieurs du jury, je
vais faire appel à votre intelligence pour vous démontrer l’innocence de mon client.
Je vous demande d’abord de faire l’effort d’un retour en vous-mêmes et de vous
poser une question que je me pose également : vous et moi est-ce que nous
nous sentons coupables de toutes les vilenies dont nous accablons le pauvre
monde qui nous cerne et nous oppresse? Moi non et vous pas plus, je le sais rien qu’à voir vos mines aimables,
charitables, aimantes. Le Temps est, comme nous, innocent de toutes les ignominies qui jonchent son
parcours et dont on l’accuse, bien légèrement.
Ses ignominies - qu’il ne conteste pas - sont comme nos infamies de la seule
responsabilité de la chose ou de celui ou de celle qui nous a créés tels que
nous sommes, c’est lui, c’est elle qui doit être montré(e) du doigt, accusé(e),
condamné(e). Cette chose ou cet être infâme doit répondre de sa création, le Temps,
comme il devrait répondre de ses créatures, tous ces êtres malfaisants - à l’exception
miraculeuse de vous et de moi - qui endeuillent de leurs exactions les villes et
la campagne.
Déjà, vous voyez se dessiner la véritable personnalité du Temps,
vous voyez que la charge qui pèse sur lui s’allège comme celle qui serait la vôtre
si, au lieu d’être assis où vous êtes, vous étiez sur le banc d’infamie. Sa culpabilité devient douteuse, le vrai
coupable sort de l’ombre. Parce que vous m’êtes très sympathiques, que je sens
que votre nature est riche, généreuse, que vous avez tendance à vous pardonner
les offenses que votre géniteur, le Grand Tout pour les croyants ou le petit
rien pour les mécréants a eu la méchanceté de nous, de vous accabler et que l’on
ne peut empêcher de s’exprimer. Le Temps subit le même calvaire, comme nous, il
en souffre, comme nous, stoïque il obéit à sa nature. Son effroi égale le mien,
le vôtre. Il me l’a dit.
Vous avez compris qu’un pas de plus a été franchi. Il en
reste un ou deux pour qu’il soit délivré de tous les soupçons. Je parle
pour lui, mais, comme on l’a vu, je parle aussi pour vous car vous mériteriez d’être
à sa place. Il a été dépourvu dès sa naissance des moyens de réparer les dégâts que sa nature, pourtant paisible ne pouvait manquer
de produire. Même l’agnelet le plus innocent fait des bêtises parfois
grosses, rappelez-vous "Le loup et l’agneau". Le Temps les subit avec un courage qu’il a appris bien avant l’antiquité
et que personne n’admire. Son flegme est pris pour de l’indifférence, son
impassibilité pour de l’insensibilité, sa persévérance à regarder l’avenir est
regardée comme le témoin d’une obstination maniaque à continuer de marcher sans
savoir où il va.
Pourtant mesdames, messieurs, le temps n’est pas
enragé. Il va son bonhomme de train. Il s’adapte au tempo de chacun :
il court quand on est jeune, il coule dans la vieillesse. Il nous suit sans
nous hâter ou nous retarder. En réalité, il est la victime d’une erreur
judiciaire qui a été faite avant même d’être jugé. Il n’a pas besoin d’être défendu
mais seulement entendu. Il n’a jamais été libre Il vous dirait, si vous lui prêtiez une oreille, qu’il est prisonnier de lui-même, qu’il
va où il peut, pas où il veut.
Je demande qu’il soit
un témoin protégé car ces ennemis sont tout puissants. Je ne suis qu’un piètre
garde du corps. Méfions-nous de ceux qui
l’accusent de leurs malheurs, de la carie de leurs dents, de la porosité de
leurs os, de déraciner les arbres par la
faute de son avatar climatique etc., etc.
Voyons les choses en face, avec le courage qui vous habite, mesdames et messiers
du jury, le temps n’est pas ce qu’on en dit, il n’habite pas l’espace, il n’est
que les murs, la route, l’autoroute. Le temps se prête à tout. Il n’y a que
son futur qui l’inquiète. Il aimerait tant se débarrasser des parasites qui lui
en veulent d’être ce qu’ils sont. Ils devraient l’imiter et devenir à son
image: serein, tranquille, impassible
dans le bruit, impavide dans la fureur, n’écoutant que son devoir, la
conscience tranquille, trop occupé à nous forcer d’avancer.
Mesdames, messieurs du jury, le Temps ne veut pas de votre
indulgence. Il n’est pas meilleur que vous, que moi, ni pire. Le condamner, c’est
nous condamner et réfléchissez, si vous arrêtez le Temps, tous, nous mourrons.»
Le président et ses acolytes sont en larmes, la greffière pleure, les contempteurs du Temps atterrés prient, un genou à terre, la salle crie son désespoir pendant que les jurés délibèrent. Tous espèrent l'acquittement. Seul Dancharr, qui ne doute pas du verdict, a l'air absent. Il prépare sa prochaine plaidoirie dans le procès du millénaire qui opposera LUCIFER, le prince des ténèbres, le fils préféré du DIABLE à ses détracteurs. Hélas, personne ne l'entendra défendre l'indéfendable, triompher du Bien, le procès aura lieu à huis clos, LUCIFER n'ayant pas encore l'âge de raison.
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