Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


jeudi 1 février 2018

LE PROCÈS DU TEMPS


De notre envoyé spécial au banc de l’accusé

Le Temps est un mal aimé. Son procès est permanent et cela dure depuis le début de l’éternité :  Pikentétron, le grand philosophe  du Cro-Magnon le fustigeait déjà  sur les murs de la grotte de Lascaux. Un auteur célèbre de son temps le conspuait dans un bas-relief de la grande pyramide. Depuis les griefs n’ont cessé  et,  aujourd’hui, une class-action le défère devant la justice.

L’acte d’accusation est fourni. On lui reproche pèle-mêle :
- de nous le faire perdre;
- de nous le pourrir;
- de nous le gâcher; 
- de nous le durcir;

 Et, surtout, péché impardonnable
- de nous faire vieillir au point d’en mourir.

Que répondre à tant de haine, à tant de bonnes raisons ?

C’est ce que l’avocat de la défense va essayer de combattre en démontrant l’innocence de son client.  Il a la chance d’avoir obtenu que l’illustre ténor du barreau, l’ex-célèbre Dancharr quitte sa retraite dorée pour gagner cette cause perdue d’avance.

Laissons-lui la parole:

« Madame la présidente, mesdames et messieurs du jury, je vais faire appel à votre intelligence pour vous démontrer l’innocence de mon client. Je vous demande d’abord de faire l’effort d’un retour en vous-mêmes et de vous poser une question que je me pose également : vous et moi est-ce que nous nous sentons coupables de toutes les vilenies dont nous accablons le pauvre monde qui nous cerne et nous oppresse? Moi non et vous pas plus, je le sais rien qu’à voir vos mines aimables, charitables, aimantes. Le Temps est, comme nous, innocent de  toutes les ignominies qui jonchent son parcours  et dont on l’accuse, bien légèrement. Ses ignominies - qu’il ne conteste pas - sont comme nos infamies de la seule responsabilité de la chose ou de celui ou de celle qui nous a créés tels que nous sommes, c’est lui, c’est elle qui doit être montré(e) du doigt, accusé(e), condamné(e). Cette chose ou cet être infâme doit répondre de sa création, le Temps, comme il devrait répondre de ses créatures, tous ces êtres malfaisants - à l’exception miraculeuse de vous et de moi - qui endeuillent de leurs exactions les villes et la campagne.

Déjà, vous voyez se dessiner la véritable personnalité du Temps, vous voyez que la charge qui pèse sur lui s’allège comme celle qui serait la vôtre si, au lieu d’être assis où vous êtes, vous étiez sur le banc d’infamie.  Sa culpabilité devient douteuse, le vrai coupable sort de l’ombre. Parce que vous m’êtes très sympathiques, que je sens que votre nature est riche, généreuse, que vous avez tendance à vous pardonner les offenses que votre géniteur, le Grand Tout pour les croyants ou le petit rien pour les mécréants a eu la méchanceté de nous, de vous accabler et que l’on ne peut empêcher de s’exprimer. Le Temps subit le même calvaire, comme nous, il en souffre, comme nous, stoïque il obéit à sa nature. Son effroi égale le mien, le vôtre. Il me l’a dit.

Vous avez compris qu’un pas de plus a été franchi. Il en reste un ou deux pour qu’il soit délivré de tous les soupçons. Je parle pour lui, mais, comme on l’a vu, je parle aussi pour vous car vous mériteriez d’être à sa place. Il a été dépourvu dès sa naissance des moyens de réparer les dégâts  que sa nature, pourtant paisible ne pouvait  manquer  de produire. Même l’agnelet le plus innocent fait des bêtises parfois grosses, rappelez-vous "Le loup et l’agneau". Le Temps les subit avec  un courage qu’il a appris bien avant l’antiquité et que personne n’admire. Son flegme est pris pour de l’indifférence, son impassibilité pour de l’insensibilité, sa persévérance à regarder l’avenir est regardée comme le témoin d’une obstination maniaque à continuer de marcher sans savoir où il va.

Pourtant  mesdames, messieurs, le temps n’est pas enragé. Il va son bonhomme de train. Il s’adapte au tempo de chacun : il court quand on est jeune, il coule dans la vieillesse. Il nous suit sans nous hâter ou nous retarder. En réalité, il est la victime d’une erreur judiciaire qui a été faite avant même d’être jugé. Il n’a pas besoin d’être défendu mais seulement entendu. Il n’a jamais été libre  Il vous  dirait, si vous lui prêtiez une oreille, qu’il est prisonnier de lui-même, qu’il va où il peut, pas où il veut.

Je demande qu’il soit un témoin protégé car ces ennemis sont tout puissants. Je ne suis qu’un piètre garde du corps. Méfions-nous de ceux qui l’accusent de leurs malheurs, de la carie de leurs dents, de la porosité de leurs os, de déraciner les arbres par la faute de son avatar climatique etc., etc.  Voyons les choses en face, avec le courage qui vous habite, mesdames et messiers du jury, le temps n’est pas ce qu’on en dit, il n’habite pas l’espace, il n’est que les murs, la route, l’autoroute. Le temps se prête à tout. Il n’y a que son futur qui l’inquiète. Il aimerait tant se débarrasser des parasites qui lui en veulent d’être ce qu’ils sont. Ils devraient l’imiter et devenir à son image: serein, tranquille, impassible dans le bruit, impavide dans la fureur, n’écoutant que son devoir, la conscience tranquille, trop occupé à nous forcer d’avancer.

Mesdames, messieurs du jury, le Temps ne veut pas de votre indulgence. Il n’est pas meilleur que vous, que moi, ni pire. Le condamner, c’est nous condamner et réfléchissez, si vous arrêtez le Temps, tous, nous mourrons.»

Le président et ses acolytes sont en larmes, la greffière pleure, les contempteurs du Temps atterrés prient, un genou à terre,  la salle crie son désespoir pendant que les jurés délibèrent. Tous espèrent l'acquittement. Seul Dancharr, qui ne doute pas du verdict, a l'air absent. Il prépare sa prochaine plaidoirie dans le procès du millénaire qui opposera LUCIFER, le prince des ténèbres, le fils préféré  du DIABLE à ses détracteurs. Hélas, personne ne l'entendra défendre l'indéfendable, triompher du Bien, le procès aura lieu à huis clos, LUCIFER n'ayant pas encore l'âge de raison.

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