L'habileté
et l'intelligence des créatifs qui, il y a des siècles et des siècles,
réinventèrent l'ENFER n'ont jamais été égalées par tous les "Mad Men"
de la publicité.
Le
concept très ancien mais modernisé remporta un succès inouï. Il correspondait à
la perfection au cahier des charges que le Haut Conseil d'Administration leur
avait soumis. Ils avaient la mission de trouver le moyen de fidéliser une
clientèle soumise à d'autres tentations.
Il
tombait à point, car la société n'en était qu'aux premiers stades de son
développement et ne faisait que commencer à s'internationaliser. Elle
rencontrait les difficultés habituelles sur un marché porteur mais très
compétitif. Les religions déjà installées n'entendaient pas se laisser déloger.
Elles avaient une bonne connaissance du terrain, des consommateurs satisfaits
du produit n'ayant pas eu d'autre choix. Sur son marché domestique, l'ÉGLISE
CATHOLIQUE avait pris une position dominante quand elle s'était fait
nationaliser, à la suite d'une OPA amicale, par l'empereur en titre, un
sympathisant activiste qui avait compris tous les avantages qu'il tirerait à
être le protecteur affirmé de l'affaire. Effectivement l'investissement s'avéra
fructueux pour les deux associés.
Si elle
voulait continuer à envahir d'autres pays, à investir sans craindre un
retournement de tendance ou l'arrivée d'une concurrence forcément à redouter,
il fallait fidéliser la clientèle et la retenir captive. Avec l'Enfer dans son
portefeuille, l'Église tenait le jackpot, la bonne martingale, le rêve
secret de tous les marchands de la terre.
À
l'enthousiasme du président, des administrateurs, des directeurs de conscience
répondit celui des consommateurs. Le terrain avait été préparé par un battage
médiatique: sermons en tout genre, pèlerinages, conciles, processions,
apparitions, etc. Au plan individuel, une politique de proximité bien
conduite avait préparé les esprits par un bouche à oreille d'une grande efficacité.
La confession était une pratique fortement encouragée, elle permettait une
connaissance intime de la clientèle et, en guise de récompense, une pénitence
était distribuée avec générosité. Le confessionnal était donc, d'un certain
point de vue, une antichambre de l'Enfer. Une idée devenue familière devient
plus facilement acceptable, de nos jours l'idée est acquise.
Nous ne
nous attarderons pas sur la description de l'Enfer, n'étant pas sadique. Si
vous voulez frémir en claquant des dents et en savoir davantage, reportez-
vous à Dante ou à Jérôme Bosh. Ils lui doivent leur célébrité.
Pour les
âmes bien trempées, nous rappellerons seulement le pitch de l'Enfer:
non pas dans sa version originelle qui remonte à la nuit des temps, l'être
humain ayant toujours aimé se faire peur, mais celle qui remonte à quelques
siècles après J.-C. et qui en est une variante sadique, grand guignolesque de
l'endroit:
L'Enfer
est une rôtissoire de grande dimension où tous ceux qui ont eu l'imprudence de
ne pas recevoir l'absolution, par un personnel accrédité, juste avant de
mourir, pour se faire pardonner tous les péchés capiteux commis et qui les ont
fait trépasser en état de péché mortel: fainéantise, gloutonnerie,
concupiscence, érotomanie, vanité, pingrerie, etc., etc. finiront leur
éternité. Tous ces tristes sirs et ladies y seront envoyés, la résurrection des
corps terminée, sitôt la fin du monde achevée, pour être fris au troisième
degré pendant l'éternité.
La
sanction est sévère et on est stupéfait qu'elle soit infligée par une âme
charitable qui prêche l'amour du prochain et le pardon des offenses, mais nul
n'est prophète en son pays.A posteriori, on s'étonne que la menace d'une telle
punition n'ait pas entraîné un effet inverse et provoqué une fuite panique et
la désertification massive de tous les lieux de chalandise et d'achalandage. Il
faut croire que, soumis à une discipline de fer, enrégimentés, sanctionnés à la
moindre peccadille, sermonnés à longueurs de prêches, ils se sentaient
obligés d'acheter leurs salades.
Le
succès s'étiola avec le temps : SIC TRANSIT GLORIA CÆLI. Il y eut des
tentatives méritoires pour relancer les ventes. L'un des successeurs du
créateur de l'entreprise eut l'idée d'actualiser l'Enfer en le mettant à la
lumière et ce fut une longue période de guerres dites saintes, de guerres de
religion pour éradiquer manu militari la concurrence. Pour
redonner un coup de peur, on lança la mode des bûchers pour les sorcières, les
hérétiques, ceux qui ne croyaient pas au père Noël. Ce furent les heures de
gloire de l'inquisition, une entreprise de pompes funèbres, rattachée à la
direction générale. Mais toutes les dictatures, tous les absolutismes
finissent. Leur publicité mensongère ne résiste pas à l’usure du temps ; à
la lumière de la raison, le sens retrouve la bonne direction. Une réclame ne
dure pas éternellement, les grosses ficelles apparaissent. On est honteux d’y
avoir cru. C’est ce que se disent tous les gogos de la Grande Distribution des
indulgences, des ex-votos, des pénitences, des miracles, jurant, mais un peu
tard, qu’on ne les y reprendrait plus.
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