L’indifférence, l’indifférence, l’ennui, le mépris, l’envie,
l’indifférence sont les sentiments mélangés qui règnent dans le for intérieur
et règlent dans la société les relations humaines. Ils sont cachés derrière les
accolades, les embrassades.
Passé le temps de l’introduction et des exclamations (« quel
plaisir », « quelle bonne idée », « vous voilà enfin, on
désespérait »…) c’est celui de la représentation. Il faut justifier le
déplacement, faire oublier le dérangement et occuper les durs moments.
Le rituel est immuable, avec sa litanie habituelle :
l’état des lieux, le bilan de santé, la visite des enfants, le bulletin météo
d’hier et de demain, le printemps qui arrive, le plantage des choux, ce qui se
passe en attendant ce qui ne saurait tarder. Que des banalités, des stupidités
et il faut s’empêcher de bailler. Le protocole doit être respecté : pas de
vague, même une ride, pas une idée qui fâche, une pensée originale, une
question indiscrète, un propos scandaleux. Rien que du consensus, de la
banalité. C’est la faute à qui, à quoi, tout ça ?
D’abord, et surtout, à l’indifférence qui rend possible un
manque total de curiosité pour l’autre, ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il
pense, à quoi il rêve, ses projets, ses regrets. L’apparence suffit et tout ce
qu’il y a derrière ne présente aucun intérêt pour votre vis-à-vis. Il ne veut
rien savoir, connaître qui risquerait de changer une habitude, sa routine. Il
n’a aucune envie d’être confronté à une idée nouvelle qui le ferait
s’inquiéter, réfléchir. Attention danger. Quel confort que les plates-bandes,
les nouvelles du jour, les jérémiades habituelles.
Rien ne vaut l’ennui des racontars, des vieilles histoires,
des souvenirs rabâchés enrichis des ratés de la mémoire. On fait semblant de
les écouter avec le même entrain que celui qui raconte.
La jalousie aura du mal à se glisser dans ce genre de
conversation, dites-vous. Elle y arrive pourtant, car on ne peut rester
insensible à l’ambiance et à l’envie de l’animer. On parle alors de films, d’un
livre, d’un voyage. Les autres, réveillés, rétorquent, parlent de voyages
lointains, de pèlerinages, se font une vie de déplacements incessants. Pour ne
pas paraître encroûté on replace un passé d’aventures au long cours dans les
mers du Sud. L’instant est bien trouvé pour se faire nostalgique d’un temps où
les pays étaient comme ils étaient avant de tous se ressembler. Les souvenirs
sont trop beaux pour être gâchés par le triste état où ils se sont mis en vieillissant.
Il est temps de s’arrêter car l’hostilité affleure. Son réveil pourrait être
gênant car il est trop tôt pour partir. La tension devient palpable entre
l’inconscience des uns qui se croient jeunes et la conscience des autres trop blasés
pour comprendre qu’on ait envie de se fatiguer. Chacun se trouve en face d’un
parfait imbécile. Le mépris est réciproque.
Mais ce sont des sentiments trop éreintants et
l’indifférence vient heureusement tempérer les différends et empêcher que le
débat s’oriente sur cette pente glissante. La conversation peut reprendre sa
routine balisée. On se dit au revoir avec un diapason plus moderato qu’à l’arrivée.
La curiosité est satisfaite, l’excitation est retombée. La satisfaction de
retrouver sa tranquillité permet de faire bonne figure et de souhaiter un bon
voyage en se promettant la même recréation pour une autre fois, si on est
toujours vivants...
On se quitte, tout le monde content avec, cependant, le
regret d’avoir perdu son temps.
Sur la route de retour, on refait le film, on imagine d’autres
dialogues, du suspens, des remises en cause, des interrogations serrées, des
mises en accusation, des réquisitoires, une mise à mort, des pleurs, des cris,
des larmes, des rires, de la vie.
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