Parce qu’elle hausse facilement le ton, la voix a des
prétentions hégémoniques. Elle a tort. L’homme n’est pas qu’un instrument à
cordes et son corps a beaucoup de moyens de se faire entendre. Chacun a son
usage et en dit beaucoup.
Passons rapidement sur les battements de pieds et ceux des
mains. C’est un bruit répétitif qui peut avoir une qualité musicale quand il
est cadencé. La langue, les lèvres, les dents avec le sifflement, les clics,
les claquements, les stss-stss et autres onomatopées ne nous retiendront pas.
Les sonorités venues du bas sont plus intéressantes car dues à un détournement
d’appareils.
Il y a le claquement, petites pétarades liées à l’éclatement
des bulles de gaz dans les articulations métacarpo-phalangiennes. Certains sont
des virtuoses et donnent l’impression qu’ils sont en train de se casser les
phalanges. Ce peut être éprouvant.
Nous passerons très vite sur le rôt et le pet, deux bruits
incongrus, intempestifs. Ils sont, le plus souvent, spontanés. Ils dégonflent,
l’un l’estomac, l’autre le côlon. Ils sont dégoutants, mais le premier peut,
dans d’autres cultures, être un signe de satisfaction et le deuxième, à une
autre époque, faisait de son auteur un musicien à succès. On s’en débarrasse
facilement avec du Smecta, du charbon du Belloc et du bicarbonate de soude ajouté
aux choux.
Il est un bruit qui sort du lot. Tonitruant, il se fait
remarquer. Précédé d’un titillement des fosses nasales, certains masochistes
par un effort de volonté arrivent à stopper son arrivée. Mais ceux qui ne
boudent aucun plaisir le laissent venir, inspirent pour le rendre encore plus triomphant
et, dans un vigoureux hochement de la tête, l’éternuement explose. Il y a, bien
sûr, quelques dommages collatéraux mais il suffit de s’écarter de la
trajectoire ou de sortir son mouchoir. Le soulagement est immédiat, la petite
démangeaison a provoqué une petite giclée d’endorphines qui, sans addiction,
laisse un bon souvenir. Mais l’homme qui éternue n’en a pas fini. Outre ce
petit plaisir, l’éternuement a une dimension sociale qui en fait tout le
charme. Sans que l’on sache pourquoi, il déclenche chez le spectateur - qui est
surtout un auditeur - une réaction empathique instantanée, quasi-réflexe qui l’oblige
à déclarer, tout de go, une phrase rituelle, empruntée à on ne sait quel mythe
préhistorique : « à vos souhaits ».
Ces vœux, cette prière adressés à l’emporte-pièce sont peut-être le seul
exemple de solidarité, la seule manifestation d’amitié qui peut lier, l’espace
d’un moment, deux inconnus. Beaucoup plus spontanée que la poignée de main, l’accolade,
le baisemain, l’embrassade, l’éternuement, phénomène physiologique réflexe,
provoque chez l’autre un réflexe symbolique de sympathie qui ne doit rien à la
réflexion, au calcul. L’éternuement et son souhait sont le signe que l’homme -
dans cette occasion au moins - est un agneau pour l’homme.
____________
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire