Imaginons une ville sans éboueurs pour enlever les ordures. Très
vite, comme à Naples, à Marseille, elles envahiront la ville l’ensevelissant
sous la pestilence. Elle apportera les rats, la peste, la mort. Le métier est
fatigant, sale, malodorant. Même à un cancre, le père n’ose pas dire :
« tu seras éboueur mon fils, si tu ne travailles pas ». Et pourtant
ce métier n’est-il pas le métier le plus utile à la communauté, celui qui
empêche que les rats ne la submergent et ne l’éradiquent ? L’éboueur
devrait avoir un salaire de prince.
Le médecin est décrié, vilipendé, fauteur de trous, de
déficits. On ergote sur le prix de sa consultation. On traque ses ordonnances,
ses certificats.
Moins payé que le médecin des chats et des chiens, le
médecin de la campagne et des villes doit supporter les gémissements, les cris,
la douleur, les souffrances de ses clients, mettre ses mains dans leurs sanies,
dans le trou de leur cul, dans leurs entrailles. Il doit respirer leurs odeurs,
sonder leurs reins, crèver leurs furoncles, leurs bubons, nettoyer leurs
chancres, tailler dans le vif, recoller leurs fractures, recoudre les
déchirures. On lui dispute les 23€ de sa consultation, ses suppléments, ses
dépassements.
Pour le prix de son travail, pour son bac + 7, + 8, +9, + 10,
+ 15 qu’il a consacré à apprendre son métier, à être utile, nécessaire, quel
salaire devrait-il daigner d’accepter pour toute la merde qu’il est obligé de
supporter, cet éboueur en blouse blanche ?
L’histoire n’a pas été avare de révolutions. Toutes devaient
changer cet ordre et établir celui dont nous avons parlé en rêvant. Pourquoi
ont-elles échoué ?
Parce qu’elles ont toutes mis en branle la loi du plus fort
qui fait que la vérité ne fait pas le poids devant la réalité et qu’une loi
apparemment naturelle ne peut rien face à une force réellement naturelle.
Ceux qui font une révolution : les Castro, Mao, Lénine,
Robespierre ou des coups d’État (Napoléon 1 et 3, Hitler, etc.) sont des chefs,
des leaders. Ils entraînent, convainquent, créent l’espoir, l’enthousiasme,
sont suivis, sont vainqueurs, ont le pouvoir, la puissance. Ils deviennent les
maîtres de la place, prennent les rênes. Leurs fidèles, leurs comparses, leurs
complices se partagent les restes et vont prospérer, s’engraisser, se
nomenklaturiser. Les autres, ceux qui ont applaudi de gré, de force, attendent,
espèrent. Les nouvelles lois, les nouveaux règlements vont certainement inverser
cette fameuse échelle des salaires, c’était promis, juré. Une police, une
justice se mettent en œuvre pour les faire appliquer. Il y a même la milice qui
surveille les militaires veillant toujours aux frontières.
Pour occuper les esprits, justifier leur emprise, expliquer
leur entreprise, de nouveaux bons apôtres font dans l’éducation des masses, le
lavage des cerveaux. Ils fabriquent de officiants, des militants, entretiennent
la flamme, promettent des récompenses, punissent ceux qui doutent, châtient les
récalcitrants.
Tout le monde qui n’est pas occupé ailleurs se remet au
travail, retourne aux champs, dans les usines qui doivent tourner. Il faut
produire de la richesse que ceux qui savent et qui peuvent emploieront pour
leur bien et, s’il en reste, pour celui des autres.
Les vieilles recettes fabriquent la bonne soupe qui est
servie à ceux qui tiennent la louche. Très occupés à distinguer ce qui sera à
faire, à digérer ce qu’ils viennent de prendre, ils n’ont pas le temps, au
début, de faire tout ce qui était prévu puis, au fur et à mesure qu’il passe,
ils perdent de vue les raisons qu’ils avaient eues et le cercle vicieux reprend
sa ronde immuable. Rien n’y fera, c’est la fatalité. L’homme au pouvoir est un
carnassier, toujours affamé.
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