Pour certains, notre époque est extraordinaire. Pour
d’autres elle est merveilleuse. Nous n’évoquerons pas les atrabilaires qui la
qualifient d’épouvantable, d’atroce et d’effroyable. Oublions-les pour ne pas
nous suicider. Examinons ceux qui trouvent que notre époque est miraculeuse. Ils viennent d’apparaître,
ou plutôt de renaître. Ce qu’ils racontent est peu banal. Ils sont allés
au-delà de la mort et en sont revenus.
Ils en gardent le souvenir et nous racontent leur expérience
avec un luxe de détails qui ne laisse aucun doute sur leur conviction.
Pour que vous ne soyez pas surpris si cela vous arrive,
sachez donc que la vie après la vie est vécue – et cela maintenant de façon
presque routinière - par des personnalités dont les qualités intellectuelles
sont éminentes et leur permettent un récit circonstancié empruntant chaque fois
un itinéraire parfaitement balisé. Une première phase transcendante place le
témoin au voisinage de son corps, à sa verticale. Celui-ci était, juste avant,
dans un état critique, coma dépassé, anesthésie plus que profonde ou instance
de mort imminente. Son voisinage, à ce moment-là, est plus qu’inquiet. Il commence
à s’affoler et se demande qui de la famille on doit prévenir. L’impétrant est,
lui, beaucoup plus cool. Il est, en fait, divisé en deux. Il y a son corps qui
gît plus qu’il ne repose sur la table d’opérations ou dans un lieu peu
confortable (débris d’une voiture, bas d’un escalier, etc.) et il y a une
entité immatérielle, très consciente et dotée de possibilités enviables :
télépathie, passe-muraille. Il entend, voit les personnes qui essaient de le
sortir de son mauvais pas. Mais la scène évolue, le temps presse. Dans le
deuxième chapitre il se déplace dans un tunnel où il chute (en apesanteur,
rassurez-vous) attiré par une lumière éclatante. C’est en fait un lieu de
rencontre et il peut renouer avec des personnes décédées. Les retrouvailles
sont toujours émouvantes. Ce peut être aussi l’occasion d’entendre des voix
qui, manifestement, sont des autorités qui en savent long. Là un choix est proposé :
on peut soit regagner son corps – toujours en stand-by – mais encore réceptif
de cet esprit un instant vagabond, soit on peut décider de poursuivre la route
sans esprit de retour. Dans ce temps très occupé et selon un schéma classique,
on revoit sa vie en accéléré avec, ce qui est nouveau, la possibilité de zoomer
sur des chapitres marquants et qu’on souhaitait revoir en détail.
Seuls les premiers, peu pressés de poursuivre leur route ou
n’étant pas certains d’avoir pris le bon chemin, reviennent sur terre,
récupèrent leur moitié, se réveillent et peuvent conter leur odyssée, eux-mêmes
assez éberlués de ce qui vient de leur arriver. Au point que certains timides
n’osent même pas en parler. D’autres, plus diserts, un peu fiers au contraire,
ne tarissent pas, écrivent des livres, très contents d’être des revenants et
des témoins de l’au-delà.
On les comprend, on les admire, on les envie. Qui ne rêve
pas de se dématérialiser, de voyager dans l’espace-temps, de rencontrer des
gens extraordinaires ? Personnellement je n’ai pas à me plaindre. Chaque
nuit je fais à peu près ce genre de voyage. Mais je n’en parle à personne car
on me traiterait de rêveur impénitent.
Mais là c’est exceptionnel, ça ne leur est arrivé qu’une
fois et de la même façon qu’aux autres. Comme si c’était le même scénariste qui
conduisait leur récit. Cela suffit à éliminer la fiction et à authentifier leur
bonne foi comme était une réalité sans ambages.
Mais des questions se posent : qu’est-ce qui vaut à
notre époque le mérite de bénéficier de ce qui ressemble à une résurrection
d’entre les morts ? Serions-nous déjà les transhumains que des américains
croient déjà être ? Pourquoi certains seraient-ils des personnages de
science-fiction ?
Ne soyons pas trop pressés, les réponses arrivent. Les
philosophes du mourant sont au travail. Les mêmes qui nous ont expliqué que
l’eau pure avait de la mémoire, que le vide est plein d’inconnus et décrit la
face cachée de la réalité ne vont pas tarder à éliminer les arguments des
sceptiques qui parlent d’hallucinations autoscopiques, de visions de soi-même à
partir du corps physique, d’effets de l’anoxie cérébrale sur le cortex visuel
occipital, du rôle du système nerveux autonome.
Le mécanistes sans âme, ces atomistes à outrance se veulent
empiriques, pragmatiques, scientistes et refusent à l’âme une réalité
substantielle. Sceptiques par petitesse d’esprit, intolérants par défaut
d’imagination, critiques par esprit de système, ils ne peuvent admettre ce
qu’ils ne comprennent pas. Ils ne veulent pas d’une âme indépendante du corps.
Ils en reviennent à Épicure et à ses élucubrations que l’Église a eu bien raison
de démolir. Avec les EMI (État de Mort Imminente) le temps des miracles est
revenu.
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