ÉDITORIAL
La décision a été prise au plus haut de l’État. Elle était
attendue depuis que l’aggravation de la situation avait rendu intenable
celle-ci et nécessaire celle-là. L’échec du traitement symptomatique de la
crise a convaincu le gouvernement qu’il fallait changer de politique, prendre
acte de l’inefficacité et des réactions de rejet à ces mesures ponctuelles et faire,
enfin, la révolution qui allait permettre à la France de montrer l’exemple en
ouvrant le siècle aux lumières du futur.
L’heure est providentielle et fera oublier l’affaire
Cahuzac, la reconquête du Mali, les voleuses du Louvre, les tribulations de François
en Chine, la mise en CDI de tous les chômeurs par Pôle Emploi. Elle créera le choc
salutaire et la prise de conscience collective.
Le premier mai, le chef de l’État fera basculer l’opinion et
donnera le départ du changement, en décidant que la fête du travail s’appellera
dorénavant la Fête du Repos.
L’heure n’est plus à la révolte des sans travail, le temps
est venu de la révolution de l’emploi.
Pourquoi une révolution ?
La disparition du travail est programmée. L’ouvrier sera
remplacé par un automate qui commandera la machine qu’un robot aura fabriquée
après qu’un humanoïde doté d’une intelligence artificielle supérieure l’eut
conçu après l’avoir imaginé. L’homme (ou la femme) n’ayant plus sa place dans le
circuit aura donc tout le temps de ne rien faire. La civilisation du repos
s’est ainsi avancée et c’est pour elle que nous devons travailler.
Il était normal que la France montrât l’exemple. Beaucoup
d’autres pays la jalousent. Les statistiques sont éclairantes. Ils auront du
mal à s’adapter, à nous rattraper. Leur retard est trop important, laissons
parler les chiffres : les USA ont 13 jours de congés, le Japon 15,
l’Australie 19. La France est dans le peloton de tête loin devant l’Angleterre,
la Hollande mais ils n’ont pas nos RTT, nos viaducs entre le dimanche et le
jour férié, les arrêts maladie acceptés sans maladie et la merveille des
merveilles, les 35 heures.
L’effort supplémentaire sera donc minime, préparé par un
entraînement intensif pour ceux qui ne sont pas au chômage, à la retraite, en
invalidité catégorie 2, en inaptitude, en prison, en fuite, bloqués dans les
embouteillages, en résidence forcée suite à une grève surprise des cheminots,
du RER, des bus, du métro, des feux rouges, de l’EDF, etc.
Le gouvernement qui a montré depuis toujours son sens des responsabilités
et depuis maintenant sa capacité de découvrir des solutions nouvelles à un
problème ancien, va entreprendre, dès la rentrée des classes, un travail
d’adaptation des nouvelles générations à leur condition de vie de l’avenir. L’éducation
nationale s’est déclarée prête à relever le défi, à gagner le challenge et la
bataille. De façon souterraine, en catimini, elle œuvrait en ce sens depuis
longtemps. Elle y a fait ses preuves, elle a montré ses capacités à préparer
les élèves, les étudiants à devenir des chômeurs. Elle leur enseignait des
matières inutiles qui n’avaient aucun débouché : psychologie, sociologie,
histoire de l’art, journalisme, photographie, mécanique auto, itinérants du spectacle.
Ne sachant ni lire ni écrire à la sortie des classes terminales, ils étaient
outillés pour redoubler, tripler les classes préparatoires, abandonner le
cursus universitaire dès la première année et apprendre à vivoter en servant
chez MacDo, en intérimaire à La Poste, stagiaire à Décathlon. Les risque-tout,
les têtes brûlées avaient une porte de sortie en entrant dans la Légion, dans
les armées Terre-Mer-Air, la police, la gendarmerie, les pompiers, les
garderies carcérales.
L’éducation nationale, débarrassée de tout souci pédagogique
pourra enfin ouvertement revendiquer sa vocation réelle, trouver sa vraie
mission. C’est un pari qui n’est pas gagné. Autant il était facile de préparer
les jeunes au chômage, autant il est difficile de leur apprendre à ne pas
s’ennuyer sans travailler. Le défi est là : le repos n’est pas un temps
mort. Il n’est pas perdu. Au contraire, il doit être gagné pour bien en
profiter, s’en enrichir. C’est ainsi que
la société cessera d’être misérable, pitoyable désemparée, désespérée et
deviendra meilleure, optimiste, rayonnante, joyeuse, tournée vers le bonheur,
le plaisir.
Cette transformation doit être menée par une éducation
nationale régénérée, joviale, dynamique. Elle sera relayée par les ministères
de la Bonne Humeur, de la Pleine Forme, des Loisirs Ludiques et Instructifs,
Créatifs, de la Grandeur d’Âme, des Plaisirs Solitaires et Collectifs.
La déformation demandera un effort permanent, des sacrifices
seront exigés. Pour profiter des arts et des lettres il faudra renoncer à l’illettrisme
et connaître le grec, le latin. Pour faire du sport et cultiver son corps, un
entraînement régulier voire intensif mobilisera les bras et les jambes. Les
gradins seront remplacés par des pistes de course à pied.
L’hédonisme, l’épicurisme, le sybaritisme ne sont pas des
disciplines abstraites. Aussi exigeante que la pâtisserie, la confiserie, la
charcuterie, la chocolaterie, ils demanderont des maîtres, des années d’études,
de réflexion, de méditation avant le passage à l’acte et leur mise en train.
Cultiver son jardin, élever des poulains, dompter les vagues ne s’improvisent
pas. Il faut du temps, de la sueur, des larmes.
Apprendre à rire, à rêver, le sens de la répartie, l’art de
la conversation, de l’écriture, la peinture, la musique, la gravure, la
sculpture, à voyager exigent davantage d’effort que de monter un mur de
parpaings, coudre un bouton, enfoncer un clou, scier une planche.
La civilisation qui commence n’est pas de tout repos. Elle
obligera chacun à se prendre en main. Il n’y aura plus un patron, un contremaître
pour dire ce qu’il faut faire, comment se fatiguer et à qui obéir. Vous serez
votre seul maître après Dieu – si vous y croyez. Rien ni personne ne vous y
forcera. En serez-vous capable ?
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