Vous vous rappelez mon pamphlet "Végétarien ou carnivore, même horreur". Par fidélité éditoriale, je récidive et enfonce le clou sans peur des représailles des maraîchers, des vendeurs de quatre saisons et de boîtes de légumes en conserve.
La bataille que j'entame va faire du bruit chez les hommes et les femmes de cuisine.
Mon plan d'attaque est classique, hérité de Carl von Clausewitz: une stratégie fortement pensée, une tactique mûrement réfléchie, le tout étant au service des fruits et légumes du potager et du verger.
Pour donner à la campagne le retentissement qu'elle mérite, je crée la Ligue Mondiale de Défense des Fruits et Légumes comestibles, les non-comestibles ayant des armes naturelles défensives les rendant impropres à la consommation et les exemptant automatiquement des sévices culinaires. La LMDFLC, déposera la semaine prochaine à l'ONU, les commandements que les États onusiens devront exiger de leurs producteurs de fruits et légumes .
PRODUCTION.- L'ensemencement, la naissance, l'éducation des fruits et légumes devront répondre aux mêmes principes de base qui régissent touts les cellules vivantes animales et maintenant végétales: respect, sympathie, honnêteté. Rien ne devra porter atteinte à leur santé, leur sécurité, leur bien-être, leur dignité et tout leur assurer une jeunesse heureuse, sans brutalité.
Pour cela, les cultures devront se faire de façon soignée, judicieuse, contrôlée et raisonnée avec un arrosage à l'eau de pluie. En cas de sécheresse prolongée l'eau de source garantie sans nitrates, sulfates, pesticides, métaux lourds.
- tous les engrais issus de la pétro-chimie seront prohibés sous peine de réclusion à vie dans un asile de fou.
Le travail de la terre sera confié intégralement aux ouvriers présents sur place. Aucun travailleur détaché ne sera toléré. Seuls seront tolérés les annélides (vers de terre, lombrics). Les limaces, escargots, asticots, doryphores, scarabées, chrysopes, perce-oreilles, syrphes, staphilus, épeires, coccinelles, abeilles, frelons , mouches, guêpes et tous les champignons saprophytes ou non seront laissés libres de leurs faits et gestes. La gélinotte sera admise pour aérer le sous-sol seulement si ses dents auront été rabotées pour ne pas éventrer les hôtes souterrains.
Une fois élevés dans les bonnes manières, les fruits et légumes arrivés à maturité ne demandent qu'à rendre les services qu'on leur a donnés. Même les perpétuels savent qu'une de leur parties sont éphémères et qu'ils leur faudra un jour quitter leur paradis sur terre. Ils sont même pressés de voir ce jour car le fruit et le légume n'aiment pas attendre d'être pourris pour être cueillis. Il a une fierté qui le lui interdit. Ils ne veulent pas finir dans un vieux cageot, perdant leurs humeurs, attaqués par le dehors et le dedans. L'un des buts de la Ligue est, certes, d'assurer au fruit et au légume une vie digne des bienfaits qu'ils offrent avec générosité à la communauté, mais sa raison morale est supérieure, elle veut donner, le moment venu, la fin digne, convenable, douce que mérite toute cellule vivante.
CONSOMMATION- Jusqu'à présent, livré à la cruauté, à la bêtise, à l'ignorance du cuisinier et de la cuisinière, les fruits et légumes meurent dans des conditions qui font frémir et que nous avions détaillé. Dorénavant, la Ligue milite pour qu'ils soient, préalablement au sort que le destin a prévu, plongés dans un bain de protoxyde d'azote, ce gaz hilarant qui anesthésie et supprime la douleur. Nos amis quitteront leur belle vie dans le souvenir des matinées arrosées de rosée, quand ils verdissaient sous la pluie, se laissaient caresser par les limaces et les escargots qui les grignotaient, quand ils laissaient les coccinelles, les papillons batifoles sur leurs feuilles, dans leurs fruits. Endormis à mort, le fruit et le légumes subira sans les sentir les outrages et finira en beauté en se laissant déguster dans un sabayon, une purée, un potage, une confiture, un clafoutis...
Le combat sera dur, l'adversaire est coriace, borné, sado-maso. Il aura du mal à comprendre que ce qu'on demande pour les fruits et légumes, il ne l'a pas pour lui qui refuse à mourir dans la dignité, l'apaisement et vit dans la pollution, le bruit, les embouteillages, la cohue, les mac-do, la télé, face-bouc. Pourquoi parler de mort douce pour les patates et les carottes, alors qu'il choisit de partir dans la douleur, les cris, la démence, abandonnés dans un mouroir, incontinents, nourris de force, comme le mal-propre qu'il est depuis longtemps. Mêmes les évêques, ces bons apôtres veulent que cela dure le plus longtemps possible. Ma guerre ne fait que commencer. Je compte sur vous. Faites-le savoir.
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