6 h : lever au son du tracteur.
6 h 30.- Ablutions dans l’abreuvoir
au milieu de la cour.
7 h.- Petit déjeuner dans la salle
de traite : lait à volonté. Les croissants et les brioches n’ont pas été
livrés car le boulanger en vacances n’a pas fait sa tournée du jeudi.
8 h.- Début du stage par une prise
de contact avec Gaïa, déesse de la terre.
Tout le monde entassé dans une
bétaillère part pour une parcelle laissée en friche depuis 3 ans et qu’il
convient de défricher avant remise en blé.
4 équipes de deux sont appareillées
et armées :
1ère équipe : deux
hommes sont équipés de faux pour couper la mauvaise herbe.
2ème équipe : deux
femmes sont munies de râteaux pour enlever la mauvaise herbe.
3ème équipe : deux
hommes sont chargés de bêches pour retourner la terre.
4ème équipe : deux femmes
avec des râteaux doivent aplanir la terre.
Ce premier travail est destiné,
avait prévenu le maître de stage, à prendre conscience de ce qu’étaient les
travaux des champs avant l’arrivée du machinisme agricole.
Le travail sera interrompu avant
l’heure fixée et une infirmerie de campagne établie vers 10 h – 10 h30 en
raison de l’indisposition des stagiaires : lombalgies chez les préposés au
fauchage, ampoules aux deux mains chez les ratissières, 1 lumbago aigu chez un
retourneur de la terre, douleur aigue à la plante du pied chez l’autre avec
ampoules à la main droite. Ce sont les deux dernières qui ont joué les
infirmières car l’avancée des travaux leur avait laissé leur temps libre. Elles
s’étaient contentées de regarder leurs collègues de fortune avant de devenir
d’infortunés collègues.
Le retour se fit clopin-clopant dans
une ambiance de camaraderie qui a maintenu très haut le moral de la troupe.
12 h 30. Déjeuner, dans la grande
salle. Il fut revigorant à souhait avec le menu traditionnel du pays :
-
Soupe de carottes ;
-
Pot–au-feu garni ;
-
Compote de pommes ;
-
Eau et cidre acide à volonté.
Les deux lombalgiques s’étaient fait
excuser car ils avaient des difficultés à marcher. Un verre d’eau et une
aspirine leur firent le plus grand bien, en attendant l’arrivée du rebouteux
qui, heureusement, n’était pas en vacances comme le boulanger.
13 h 30 à 14 h 30 : Sieste
générale.
14h30.- Initiation à la mécanique
agricole.
Il y a d’abord eu, présentés par
Lucien R, les divers engins utiles (en tant que chef de culture, il est aussi
chef mécanicien).
1 tracteur John Deere, 560 Cv.
1 tracteur McCormick 90 Cv.
1 New Holland 85 Cv.
1 tracteur Claass 112 Cv.
Tous en état de marche.
1 charrue à 25 socs réversible.
Commande électronique, sans chauffeur.
1 épandeur de fumier, 1 cultivateur,
1 semoir polyvalent, 1 faucheuse, 1 faneuse, 1 presseuse, 1
moissonneuse-batteuse, 2 fourragères, 3 ensileuses, 1 tractopelle en location.
Arsène de la T., qui tenait énormément
à conduire un tracteur, a été autorisé à essayer la tondeuse autoportée. Il est
sorti ravi de son expérience.
Durant l’heure consacrée aux travaux
mécaniques chacun fut muni d’une pompe à graisse et lubrifia, qui un tracteur,
qui une moissonneuse-batteuse, qui un tractopelle. Ce furent des moments vécus
comme les minutes de vérité brutale où le corps reprend possession de la
personnalité et impose son silence et ses courbatures.
15 h 30.- Une visite fut rendue aux
vaches dans la stabulation libre. Chacun put faire connaissance avec un
mammifère ruminant femelle laitière et patauger joyeusement dans la bouse.
Une séance de traite à la main fut
organisée pour ceux qui s’en sentaient capables. Seuls Xavier et Justine eurent
le courage de s’atteler aux pis et s’évertuèrent à pomper du lait. Leurs efforts
furent récompensés après deux tentatives qui les firent beaucoup rire et
beaucoup souffrir les pauvres bêtes qui n’avaient jamais été martyrisées de la
sorte. La traite mécanique a, on le sait, le plus grand respect pour la mamelle
vacharde. Une dégustation du produit lacté fut offerte à ceux qui n’étaient pas
dégoûtés par l’odeur organique du liquide crémeux.
16 h 30.- Visite fut rendue à César,
le taureau multiprimé qui paissait dans son coin. Il fut demandé aux dames de
rester à distance en se positionnant sous le vent afin de ne pas réveiller le
cochon qui sommeille en permanence chez César, sa lubricité naturelle étant
exacerbée par les phéromones du sexe faible quelle qu’en soit l’espèce. Pour sa
survie, on doit l’astreindre à l’abstinence au moins un jour sur deux, car il a
tendance à abuser de sa force vitale pour satisfaire ses vaches qui lui en font
voir des sauvages. César a le profil d’un bison américain bodybuildé. À côté de
lui, un Miura ressemble à un taurillon tétant sa mère. César, c’est le colosse de
Rhodes.
Les messieurs furent également priés
de se tenir à distance car César est jaloux et ne veut pas être plus cornu que
nature.
17 h.- Les lombalgiques, remis sur
pied par les soins du rebouteux du village, purent se joindre aux autres
rescapés pour assister à une conférence sur les méthodes modernes d’assolement
des sols argilo-calcaires avec une étude comparative des résultats d’un
labourage profond traditionnel et ceux actuellement préconisés par une fraction
de réformistes d’obédience révolutionnaire qui refusent la profanation de Gaïa
par des sillons et veulent se contenter d’un effleurement symbolique de son
épiderme afin de sauvegarder la vie sauvage du derme superficiel, domaine des
vers de terre, fécondeurs naturels.
Un débat contradictoire entre le
conférencier, ingénieur en chef de l’Inra et le maître de culture s’ensuivit.
Il fut vif mais personne n’en vint aux mains. Des notes furent prises, des
adresses échangées, on promit de se revoir. Un verre d’honneur, servi avec du
cidre bouchonné, clôtura la conférence dans une joyeuse pétarade.
19h.- Chacun mit à jour notes,
rédigea son carnet de bord, écrivit ses lettres, soigna ses bobos, se refit une
beauté.
20h.- L’heure du souper sonna. Il fut conforme à la
tradition, consistant, roboratif, calant bien le corps : Soupe - Pot–au-feu à volonté – Fromage et pain dur à
satiété - Eau et cidre brutal. Chicorée au tilleul pour de beaux rêves.
21 h.- Le pas traînant, fatigués d’avoir tant fait, moulus, boitant,
geignant, chacun, chacune monta aux échelles pour regagner, qui son foin, qui
sa paille pour se préparer au lendemain.
Bonne nuit, dormez bien, à demain.
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