C'est une longue histoire d'amour. Je l'ai planté, il y a
longtemps, quand j'étais jeune et lui aussi. Il a grandi plus haut et vite que
moi. Très tôt, il m'a régalé de belles et bonnes pommes, à l'ancienne,
juteuses, fruitées, parfois habitées, jamais à jeter. L'été, il me faisait de
l'ombre, m'abritait de la pluie. Hospitalier, il hébergeait les oiseaux, leurs
nids, les coccinelles, les araignées. Pour porter bonheur, il portait du
gui. Jamais un mot de trop quand je lui en faisais voir de toutes les couleurs
avec du blanc de chaux sur le tronc, de la bouillie de Bordeaux sur la ramure,
lui faisait une taille sévère, à la fin de l'hiver pour qu'il reparte d'un bon
pied.
Avec le temps, il a fini par se fatiguer de tant donner et de recevoir la pluie, le froid, la neige, la grêle, d'être trop accueillant aux champignons, aux parasites, il s'est mis à dépérir, à faire du bois cassant, à perdre ses feuilles, ses fruits, à faire moins d'ombre.
J'ai bien senti qu'il s'en allait. Pour qu'il ne se laisse pas abattre un jour de grand vent, par une méchante risée, lui, le fier, l'orgueilleux, lui
qui n'était pas un roseau mais de la race des chênes, pas du genre à plier le
genou, j'ai du me résoudre à m'en séparer, avant qu'il ne pourrisse sur pied.
Je l'ai mis en bûches et, une fois sec, il aura droit à une crémation, avec les
honneurs.
En fait, il n'est pas mort, il m'a donné beaucoup de petits
greffons et, dans mon verger, il y a une forêt de jeunes pommiers qui lui
ressembleront et qui, je l'espère, feront pour moi ce que j'ai fait pour lui.
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