Votre problème est récurrent et vous n'arrivez
pas à surmonter votre incapacité à exprimer une opinion. Vous restez muet et
passez pour un imbécile. Vous trouverez dans ma série "IL SUFFIT DE"
ou sinon dans les rubriques "IL N'Y
A QU'À" un palliatif à ce blocage désagréable.
Il vous suffit ou vous n'avez qu'à emmagasiner
dans votre mémoire (si vous n'en avez pas, prenez un aide-mémoire) quelques
phrases-types que vous placerez au moment opportun, si vous savez le déceler.
Voici quelques commentaires qui ont fait leurs preuves et qui vous vaudront des
compliments.
Lors d'un repas, après que le maître de maison
ait débouché, avec componction, une bouteille et rempli le verre avec
cérémonie, plutôt qu'un claquement de langue digne d'un routier éclusant du
Kiravi, vous pouvez attirer l'attention - admirative - par l'enchaînement
suivant accompagné d'un air pénétré:
- si c'est un rosé: «ça, c'est un vin de soif du genre à réchauffer le cœur en hiver et à
rafraichir le palais en été !!!".
- si c'est un blanc, vérifier discrètement le
cépage. Pour un sauvignon: "quelle
élégance floral, un jardin enchanté à lui tout seul".
-
pour un chenin: «quelle minéralité, quelle aristocratie, à se mettre au garde à vous !!!
- pour un rouge (peu importe l'origine), jouer le
modeste, pour mieux impressionner: mirez- le et proférez: "superbe robe" puis humez et lâchez:
"quel nez!", prenez une
gorgée, faites-la rouler sous la langue - pas de clapotis - avalez, yeux fermés,
religieusement- sans effet de glotte, ni gargarisme- et vous murmurez, quasiment émerveillé: "du corps avec juste ce qu'il faut de
matières". Vous continuerez, si personne n'ose interrompre l'œnologue
en action, par: "quelle charpente, à
redresser une colonne de bossu" (vérifier l'absence de bossu avant).
- pour le plat de résistance, s'il est mangeable -
et en regardant la ou le cuisinier : "êtes
vous de la famille Ducasse ?"
- pour le dessert: "Hermé peut aller se rhabiller" ou "vous savez rendre les papilles et les gens heureux ".
Votre répertoire doit s'élargir au domaine de la
géopolitique. Mais attention, le terrain est miné, restez dans les généralités
et ayez une position attentiste qui n'offusquera personne et vous fera passer
pour un connaisseur averti. Tout est dans le ton: assuré et péremptoire, le
débit rapide pour rendre le discours incompréhensible, façon Rocard.
-
«Il est
difficile d'avoir une opinion tranchée, tant l'instabilité de la situation rend
aléatoire une solution qui, de crédible à son début, apparaîtrait rapidement
impossible à appliquer et même à concrétiser par de simples mesures tant les antagonismes qui, on l'oublie trop
souvent, remontent à la nuit des temps, restent vivaces et en contradiction avec
l'ambition affichée et même avec une
solution médiane .»
Si l'auditoire n'a pas ostensiblement décroché,
vous pouvez l'achever avec:
-
«Je reste,
quant à moi, dans l'attentisme armée, c'est-à-dire dans l'expectative et ne suivrais
pas les interventionnistes jusqu'auboutistes dont on connaît l'irresponsabilité
qui se vérifie à chaque fois dans le long terme quand ce n'est pas dans le
court. Il faut d'abord qu'une stabilité non conjoncturelle mais structurelle
s'instaure, perdure, s'enracine. Cela prendra des années et qu'une direction
assistée par l'ONU surveille le processus .Je crains malheureusement d'être
démenti par l'actualité car la folie l'a toujours, dans cette région, emporté
sur la raison.»
Avec ce genre de propos, Alexandre Adler passera
pour un amateur.
S'il s'agit de commenter une décision du
gouvernement (de droite ou de gauche) je vous conseille :
-
«je crains
que l'on soit encore devant une décision
prise dans l'urgence et avec un manque total de réflexion et de recul.
Cette précipitation traduit une fois de plus que la pensée dominante du moment,
pour ne pas dire de l'instant impose son diktat sans qu'il y ait eu une évaluation
des effets indésirables qui viendront contredire l'intention initiale. Elle
n'était pas négligeable et j'étais de ceux qui la trouvaient souhaitable».
Là, c'est à Duhamel que vous remontez les
bretelles.
La conversation tombera inévitablement sur le
dernier Nobel français, Modiano. Vous devez avoir une opinion éclairée sur lui,
sans avoir jamais lu un livre, a fortiori
l'un des siens. Soyez définitif et magistral: « Pour une fois, ils ont fait leur devoir. Il est grand, non seulement
par la taille, mais par l'inspiration, le style et l'écriture fluide et serrée,
limpide et profonde. J'ai adorrrrré son dernier opus, "Pour que tu ne te perdes pas dans le
quartier"». Si vous voulez vous faire haïr, demandez : « et vous, comment
vous l'avez trouvé ? ».
Avec ce viatique, vous êtes armé pour vaincre votre
appréhension et passerez bientôt pour un locuteur émérite qui sait tout sur
tout et a réponse à tout.
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