On pourrait croire que pour être médecin, il fallait être
masochiste et se complaire à écouter des horreurs, voir des horreurs, faire des
horreurs: vider les bubons, les furoncles, les anthrax, les abcès, nettoyer les
plaies, les chancres et j'en passe.
Heureusement pour lui, il n'en est rien. Il n'y a pas plus
équilibré qu'un médecin et s'il supporte avec stoïcisme d'être incommodé,
ennuyé, emmerdé (dans le sens littéral et non littéraire) en acceptant, avec le
sourire, d'être le dépotoir de tous les malheurs physiques, physiologiques,
psychologiques du corps et de l'âme, c'est que c'est la seule façon qu'il a - et
que les autres n'ont pas - de se savoir différent, meilleur, indemne.
Il se traite, le besoin s'en faisant toujours sentir, en affrontant
le mal pour pouvoir se sentir bien.
Comment mieux apprécier de respirer à pleins poumons que de
traiter des asthmatiques, des emphysémateux, des bronchitiques qui crachent, étouffent,
asphyxient?
Comment ne pas ne pas être heureux de pouvoir marcher, courir, danser quand on
soigne des artéritiques, des polynévrites, des arthrosiques avec gonalgie et
coxarthrose?
Comment ne pas profiter des bons vins, des bons gâteaux, des
bons repas quand on entend gémir, à longueur de consultation, les diabétiques,
les cirrhotiques, les gastritiques, les colitiques?
Comment ne pas se sentir tonique, dynamique, actif quand on
ne voit que des dépressifs abouliques, asthéniques, suicidaires?
Pour apprécier à sa juste valeur le bonheur d'être en bonne
santé, il faut se confronter, s'étalonner, se comparer à ceux qui ne le sont
pas pour s'extasier de sa chance, de son bonus face au malus de sa pauvre clientèle
pleurante, souffrante, mourante.
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bravo pour ce texte magnifique
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