Le rédacteur en chef de la revue annuelle LE FUTUR DE
L'AVENIR a rencontré le savant le plus célèbre du monde, dans son laboratoire
secret.
« C'est la première fois que vous donnez un entretien, c'est
un honneur et un privilège. Pourquoi ce changement dans vos habitudes?»
«Le moment était venu»
«Pouvez-vous pour commencer, nous présenter l'équipe qui
travaille à vos côtés?»
«Avec plaisir, elle est réduite. Je ne crois pas aux
effectifs pléthoriques. Trop nombreux, les chercheurs se neutralisent et
l'argent sert surtout à payer les salaires.
Je vous présente Vincent,
mon ange -gardien garde du corps; ancien de la Légion, il a sauté à Kolwezi; Marie-Thérèse
que nous verrons au travail car elle n'arrête pas, c'est notre
technicienne des grandes surfaces. Elle manie le balai et l'aspirateur avec une
dextérité étonnante. C'est aussi une femme d'ordre qui a un sens du rangement
peu commun. Enfin Pierre, dit Pierrot, notre
homme de confiance. Il sait tout faire et très bien: taper les lettres,
répondre au téléphone, ouvrir le courrier etc..
»
«C'est tout, pas de techniciens, de laborantins? Où sont les
ordinateurs, les écrans, les microscopes, enfin tout ce qu'on trouve dans un
laboratoire classique?»
«Nous n'avons rien de tout cela, je n'en ai pas besoin. Je
travaille autrement.»
« J'a hâte de connaître votre secret, mais avant, j'aimerais
que vous nous disiez qui vous êtes?»
«Quelqu'un de très ordinaire: dernier d'une famille nombreuse,
élevé à l'ancienne, à la dure, aux fables de La FONTAINE, aux récitations, aux
tables de multiplication, au par cœur, aux dictées, des bonnes notes en tout: histoire, géo,
math, physique, chimie, grec et latin. Mais c'est surtout la gymnastique qui m'intéressait.
Plus tard le parcours classique, balisé: math-sup, polytechnique, normal-sup,
la médaille Field, une médaille d'argent au sabre, aux Jeux (pas le temps de
m'entrainer), une traversée du désert, une première à l'Himalaya, sans oxygène ni
sherpa et …»
« Et? »
«Et à 26 ans le ras le bol, le dégoût, l'ennui, les
démissions, la retraite, le retour à la source, une cabane perdue au beau
milieu du Mont Gerbier des Joncs. Dix ans de solitude, de réclusion à payer les
dettes, à balayer devant ma porte, à oublier les bons souvenirs aussi
encombrants et superflus que les mauvais. À 36 ans, la renaissance, une fois lesdites
dettes réglées, le ménage fait, la page tournée, j'ai ouvert ce labo hors du
circuit du CNRS, de l'INSERM, des universités. Il me fallait être libre pour
mettre en pratique mon nouveau concept : je ne perdrais plus mon temps à
chercher, je le passerais à trouver. Sauter cette étape où tous les chercheurs
s'engluent au point de ne jamais rien trouver a été ma plus sage décision, je
lui dois tous mes succès.»
«On se demande
pourquoi personne n'y avait pensé. Vous vous définissez comment, en plus d'être
un trouveur?»
« Un écologue ni radical ni vert, mais fondamentaliste.
-Un transhumain de
nouvelle génération, pas américain, Pour moi, il ne s'agit pas de rendre
l'homme plus intelligent à l'aide de machine plus intelligente que lui, mais de
le rendre moins bête. Pour cela un caillou est suffisant si, avec lui dans la
main, on réfléchit. J'y travaille. La difficulté est de passer de l'unité à
l'infini.
-Un empirique sceptique et critique
Quant à mes goûts personnels, je suis un amateur de bons
mots, de gros mots, du beau, du bon en privilégiant ce qu'ils ont de meilleur.»
«Vous êtes un ascète très épicurien, on a vu que votre labo
est très dépouillé, comment travaillez-vous?»
«Je suis un travailleur indépendant qui ne doit rien à
personne: mon potager et mon poulailler suffisent à ma survie, mes
collaborateurs sont des bénévoles qui travaillent à mi-temps dans le cadre d'une
association loi 1901 et moi je travaille, couché, à moitié endormi, c'est là
que me viennent les idées. Mes outils de travail sont une feuille de papier et
un Bic..»
«Quelle
est votre nouvelle trouvaille, vous préférez ce terme à celui d'invention.»
«C'est moins prétentieux et plus vrai. Elle est ancienne, je
la gardais sous le coude depuis longtemps: trop d'intérêts allaient être
bousculés, du chômage en plus. C'est encore plus révolutionnaire que E=MC2 et quand
on voit ce qu'ils ont fait avec, je pouvais m'interroger. Je me suis décidé, en
lisant que la mortalité routière recommençait à augmenter de façon
inqualifiable, à livrer la formule qui annule la pesanteur, permet la
lévitation. Un casque avec quelques puces bien dressées suffit à décoller et à
aller de-ci, de-là, comme dans la chanson. Finies les voitures et les
carambolages, voyager en l'air sera aussi dangereux que la marche à terre.»
«Si j'ai compris, grâce à vous, le rêve va devenir réalité !!!???!!!!
Je peux avoir une démonstration? »
«Pas de problème, Pierrot a une parfaite maîtrise de la
conduite aérienne. Il est dans les nuages actuellement pour aller chercher un
peu d'eau propre, mais il ne va pas tarder. En l'attendant un Cognac?»
«S'il vous plaît»
_________________