Ce blog est pour le lecteur qui apprécie l'ironie, l'humour, qui est à l'affût de pensées faciles, d'idées saugrenues, d'inventions bidon, de conseils bizarres et qui n'est pas horrifié par le sarcasme, l'irrespect. Il est à éviter pour les conformistes, les dominants, les dominés.


dimanche 12 novembre 2023

DANS LA SÉRIE "ENTENDU AU TRIBUNAL"

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du jury,

Rompant avec l'habitude, je ne vous parlerai qu'incidemment de mon client, assis sur le banc d'infamie, je le laisserai dans l'ombre, son innocence plaidant mieux que moi. Je vais m'adresser à vous et vous me remercierez quand j'aurai terminé et vous aurai démontré ce à quoi je veux que vous échappiez: que votre nom, votre réputation, votre âme et conscience ne soient pas souillés à jamais par une tâche indélébile, la pire des infamies pour un juge et des jurés: l'erreur judiciaire. Vous en seriez tenus les responsables devant le tribunal des siècles et des siècles et condamnés à la perpétuité.

Erreur judiciaire. Cette possibilité fait frémir et pourtant l'instruction, à toutes ses étapes a fait semblant de ne pas la voir. Heureusement, vous n'avez pas ses œillères, vos yeux sont ouverts, vos oreilles m'entendent et je vous dis la vérité. Il suffit de s'en tenir à la réalité des faits et ne pas demander à l'imagination de lier la sauce. Toute l'accusation repose sur des aveux et des évidences. On vous dit que mon client a avoué et qu'il portait sur lui les preuves de son forfait: des mains ensanglantées, ses empreintes sur le couteau, ses vêtements tachés de sang, les ennemis de mon client le décrivant violent, le ménage marchait mal, les disputes fréquentes, tout cela bien empaqueté, le tour est joué, l'instruction bâclée, mon client condamné avant d'être jugé. Reprenons les faits calmement et voyons les tels qu'ils se sont passés:

Les aveux:  depuis longtemps, on sait qu'ils n'ont de valeur  que manuscrits, écrits avant les choses,  dans le calme et la réflexion, sans pression. Tout le contraire d'ici, ne tenez pas compte d'une évidence trompeuse; mon client était prés de la victime, un couteau à sa main, ensanglantée, ses vêtements souillés, ses empreintes sur le manche, des propos jugés incohérents, une attitude suspecte aux yeux des témoins accourus. Le coupable idéal était resté sur les lieux du crime, une aubaine qui dispensait d'aller chercher ailleurs et de croire les premières déclarations de mon client qui racontait sobrement, une fois l'ordre revenu dans son esprit comment il avait vu sa femme allongée, immobile, un couteau dans le dos, comme dans un réflexe (l'horreur  l'avait saisi), il le retire, s'ensanglantant, la retourne pour savoir si elle vivait et se redresse, foudroyé, tétanisé comme comme vous et moi le serions si nous vivions une telle situation. Nous sommes encore loin des aveux et comment les expliquer. Simplement, ils ont été arrachés, aux forceps, après des heures d'humiliation, de menaces, de tortures mentales,  aveuglé par des projecteurs, l'esprit brouillé par des questions insidieuses, incessantes, perfides posées par des individus survoltés, excités, pressés d'en finir et qui de bonne foi, mais  sans intelligence de cœur et d'âme parce que primaires ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez. Imaginez le tableau, mon client est assis, avec autour des policiers fatigués, énervés par une journée passée à rédiger des rapports, à consulter des experts, et qui ont faim, boivent de la bière chaude, fument, voudraient être ailleurs, chez eux, devant la télé pour voir le match en direct, en ont marre de faire ce métier où on est mal payé, mal considéré avec une hiérarchie imbécile, un juge d'instruction qui veut des aveux circonstanciés. Après de heures de ce régime mon client n'en peut plus, ses inquisiteurs ne tiennent debout que parce qu'ils sont assis et il signe pour leur faire plaisir et en finir avec cette comédie et qu'il puisse dormir. Pour clore le dossier, le juge d'instruction a retenu comme mobiles le mauvais caractère supposé, les disputes conjugales, la jalousie de madame face à quelques frasques extra-conjugales, son goût pour les films policiers, le lancer de couteau et la boxe thaïlandaise. Beaucoup de dames et de messieurs vont devoir changer d'habitude.  Je n'ajouterai pas une virgule à ce ridicule et m'en tiendrai là, n'allant pas plus loin. Je connais l'âme humaine, c'est mon métier de la sonder. Je vous ai regardés, mesdames et messieurs du jury, j'ai vu à qui mon client a affaire, j'ai compris que vous n'êtes pas du genre à vous satisfaire des méthodes expéditives de l'accusation, que vous avez une âme d'élite, que vous n'êtes pas de la race de celles et de ceux qui peuvent vivre en se disant, à chaque instant, j'ai condamné un innocent. Votez pour vous aussi et n'ajoutez pas une victime au crime. Merci .

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